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Pie XII et "Marianne" : de Roland Hureaux à Christine Clerc...

Publié le 13 janvier 2010 par Hermas
La possible béatification de Pie XII n'a pas fini de faire couler beaucoup d'encre et de faire dire beaucoup de sottises, où se mêlent ignorances consenties et fanatisme. Dans ses colonnes, pourtant, l'hebdomadaire Marianne, qui ne compte pas parmi les fans de Pie XII, comme on sait, a laissé l'un de ses chroniqueurs, M. Roland Hureaux, écrire un article ainsi intitulé : "Et si Marianne se trompait ?" On ignore si cette liberté laissée au journaliste de s'exprimer contre le vent dominant signifie que la direction de l'hebdomadaire admet cette possibilité intellectuelle mais c'est un fait : liberté il y a, qu'il est tout à l'honneur de ladite direction d'avoir respectée. Dans cet article, M. Hureaux prend un luxe peu usité en la matière : celui de réfléchir. Il emprunte d'abord à Weber sa fameuse [et si ruineuse] distinction entre l'éthique de conviction, qui porte à témoigner de ce qu'on croit juste, même si cela doit avoir des effets négatifs, et l'éthique de responsabilité, qui calcule et mesure dans chaque circonstances les effets de ce que l'on dit et fait. La première est subjective, indique-t-il. Pour elle, le "bien consiste à rechercher en chaque circonstance la posture 'moralement correcte', à sculpter, de pose en pose, la statue de quelqu'un qui aura toujours été du bon côté". On pense naturellement à Bernard Henri-Levy, que l'auteur ne manque d'ailleurs pas de citer en exemple. Observons que cette morale dite sans rire de "conviction", n'est pas uniquement une morale de l'action. Elle est même essentiellement, aujourd'hui, une morale de rétrospection. Elle porte ainsi à affirmer, du fond de ses chaudes pantoufles contemporaines, ce qu'il était juste de faire à une époque déterminée, en fonction des critères plus ou moins valides et abstraits d'aujourd'hui, à fustiger ceux qui n'ont pas agi de cette manière, et à s'auto-affirmer, enfin, comme un modèle du comportement d'alors : si j'avais été là, évidemment, moi j'aurais été un type bien, voire héroïque, en ces circonstances. La seconde est objective, "issue d'Aristote et des stoïciens". Il suffit, en l'occurrence, qu'elle soit de "responsabilité". "Il est évident, indique l'auteur, que depuis toujours les chefs de l'Eglise catholique se situent du côté de l'éthique de responsabilité". Et d'ajouter : "L'Eglise catholique a des responsabilités effectives : entre 1939 et 1945, celle de millions de catholiques mais aussi de centaines de milliers de juifs réfugiés dans les institutions" - ses institutions. "Il y a une immaturité inouïe à imaginer que le pape aurait pu prendre la parole à tort et à travers sans se préoccuper d'abord de cette responsabilité". C'est ce que les historiens catholiques ont toujours souligné. La remarque est de bon sens. Au regard de cette évidence, il ajoute qu'il "faut une présomption singulière à ceux qui n'ont pas vécu les mêmes événements, ni jamais exercé des responsabilités analogues, pour porter des jugements péremptoires à ce sujet". "Quel criminel aurait-il été s'il avait, pour forger son image devant l'histoire ou même préserver l'honneur de l'institution, sacrifié ne serait-ce que d'un des milliers d'enfants juifs réfugiés dans les jardins de Castel Gondolfo et de multiples couvents !" "Le célèbre regard immobile de Pie XII derrière ses lunettes rondes n’est pas celui d’un couard paralysé par la trouille, mais celui d’un homme totalement lucide sur l’ampleur de la catastrophe et pénétré de son immense responsabilité. De fait, le vrai mystère de Pie XII n’est pas tant son comportement pendant la guerre que la lecture qui en est faite soixante ans après. Comment ce pape qui fit de son vivant l’objet d’éloges unanimes du monde juif (Ben Gourion, Golda Meir, Albert Einstein, Léo Kubowitski, secrétaire du Congrès juif mondial, le gand rabbin de Rome etc) et non juif, peut être aujourd’hui ainsi vilipendé ? Le basculement s’est fait avec la pièce « Le Vicaire » (1963), œuvre littéraire et non historique due à un personnage douteux, proche des milieux négationnistes. Il coïncide surtout avec l’émergence de la génération d’après-guerre dont l’irresponsabilité en tant de domaines avait besoin d’un paravent idéologique : identifier, dans la ligne de l’Ecole de Francfort et au rebours du vécu des contemporains, nazisme et tradition en fut une des clefs de voûte". Voilà qui est fort bien vu. A quoi il fait ajouter un autre élément que l'article ne fait qu'évoquer, et qui est pourtant majeur : l'anticommunisme de Pie XII. Ceci, dans le cadre de la guerre froide, en faisait un ennemi, et cela suffit à dissiper le prétendu "mystère de Pie XII" qui vient d'être évoqué. Des recherches menées en particulier par la Fondation Pave the Way, il apparaît que la diabolisation de Pie XII a été le fruit d'une stratégie résolue du KGB, destinée à déstabiliser le Vatican - stratégie que les courants évoqués plus haut, avec les milieux progressistes catholiques, ont véhiculée. On se reportera à l'article publié ce point sur Hermas.info. Il n'en reste pas moins que l'article de M. Hureaux est courageux. Dans le même temps où il fait cet effort de discernement et d'intelligence, la célèbre et mondaine journaliste Christine Clerc se sent obligée d'écrire un article intitulé : "La béatification de Pie XII m'a rendu athée". Athée par rapport à quoi, Dieu seul le sait en vérité, si ce seul projet et les quelques faits qu'elle évoque (dont l'affaire du Brésil et l'affaire Williamson, évidemment) la font basculer de la croyance en lui à son rejet. A la fin de cet article, elle écrit en effet : "J’ai compris. Je vais donc me convertir au bouddhisme. Ou au protestantisme. Ou plutôt, à rien du tout. Mieux vaut vivre sans religion. Et sans grands prêtres." Pourquoi pas aux pâtes Lustucru ou au jogging ? C'est prendre les gens pour des niais que de leur faire croire qu'un catholique, par déception de quoi que ce soit, puisse devenir indifféremment tout ou n'importe quoi, et puis finalement athée. En réalité, ce n'est qu'un effet de manche dicté par l'aigreur. Mme Clerc, en effet, ne cache pas, dans l'article cité, qu'elle ne pardonne pas à l'Eglise d'être contre la pillule, l'avortement, le planing familial et autres choses du genre. Elle se dit "chassée de sa Maison, de sa famille" catholique, mais cette famille et cette maison doivent être à l'image de ses convictions. Qu'il y ait désarroi sincère chez Mme Clerc, nous ne le nierons pas ; qu'il faille nous en attendrir, c'est une autre affaire. Ce qui est triste, profondément, c'est que l'on puisse publiquement jouer prétendument sa foi sur les aléas de ses idéologies et de ses ignorances et en faire des coquetteries boudeuses. L'épisode ne mériterait même pas d'être relevé s'il n'était significatif de l'ambiguïté profonde dans laquelle paraissent vivre nombre de catholiques, qui se disent de la "Maison", sans en accepter les enseignements. M. Hureaux parlait plus haut de morale de conviction. Voici à quoi notamment elle conduit.

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