Sans arêtes…

Publié le 13 janvier 2010 par Sophielucide

Le pays, sage, n’offre à la vue que squelettes de poissons érigés, fiers dans leur dénuement.
Toutes ces arêtes noircies par la suie échappée des pots de nos bagnoles….
J’ai commis une dernière folie en écrasant la pédale de l’accélérateur. Alors toutes ces arêtes se sont mises à danser sur le pare-brise, dans un concert grisant de silence.
Au loin, les terrils pointaient, surmontés de nuages alignés tout aussi platement.
Tout semblait figé dans une éternité grotesque d’où la beauté absente jaillissait à chaque regard. Je me pinçais pour le croire, tout en me demandant quel besoin j’avais de voir dans le néant des détails si sublimes.
Ma voisine a raison, je deviens un chat.
J’ai commencé par faire le gros dos car je n’ai pas l’habitude qu’on m’affuble de noms d’animaux. Puis j’ai marmonné une réponse en forme de croquette, qu’elle a interprétée comme le ronronnement propre au félin. Un chat qui fume, ça n’existe pas, même dans les cabarets ! Elle m’a caressé l’échine en me demandant d’allumer la lumière. Pourquoi faire ? Elle n’y voyait rien, prétendait-elle et puisqu’elle était chez moi j’ai appuyé sur l’interrupteur tout en lui conseillant de voir un ophtalmo, car la vue c’est la vie, que j’ui dis.
Elle m’apportait mon herbe dont elle me fit renifler l’odeur qui déjà me rend folle. Puis elle s’est mise à jouer avec l’enveloppe refermée, qu’elle balançait tel un hochet. C’est un jeu qu’elle a initié depuis que je l’ai choisie comme dealeuse exclusive, je crois que ça l’amuse alors j’esquisse deux trois gestes dans le but avoué de m’emparer de ma dose hallucinogène. Cela suffit en général pour qu’elle s’attèle à la tâche ;  je ne sais pas rouler, malgré ses injonctions à me couper les ongles qui griffent le papier trop léger et ruinent le travail minutieux qu’il m’est impossible d’accomplir moi-même.
Je suis du regard ses manipulations hypnotisantes. Lorsqu’elle a préparé la cigarette, le filtre en carton dans lequel elle souffle gentiment, le petit tas d’herbes séchées qui embaument déjà la pièce, j’ai déjà fermé les yeux pour ne me concentrer que sur le glissement aérien du papier qui se roule dans un chuchotement de bas de soie qui glisse.
Elle me tend le cône odorant et gratte une allumette dont la flamme me terrifie toujours un peu. Pendant que je tire ma première bouffée, elle va me préparer un bol de lait que je consomme à peine tiède, avec un peu de sucre. Elle profite toujours de cette extase exquise pour filer à l’anglaise, au prétexte que je serais bien capable de me faufiler entre ses pattes pour aller faire un tour sur les toits ….