Non, je n’ai pas grossi, Maman. Dois-je m’en excuser ? En être désolée ? Le but de manger c’est de se faire plaisir, pas de s’empiffrer ! Je ne vais pas me resservir 4 assiettes pour te faire plaisir… Ton problème, maman, c’est qu’au lieu de nous distribuer des baisers, des compliments, des mots doux et des regards aimants, tu nous as distribué des assiettes bien pleines. Et même quand on n’avait pas faim, fallait qu’on bouffe pour te prouver qu’on t’aimait. Si on n’bouffait pas, c’était toi qu’on rejetait aussi sec ! Ton amour passait par nos assiettes. Je ne critique pas, maman, hein, on a sacrément bien mangé toute notre vie ! Et on t’en a servi des « hum, c’est bon », « quel régal » et touti quanti pour cirer tes pompes de super maman. Mais nous, on avait quoi de toi sinon des assiettes bien pleines ? De la distance, de l’ironie et du cynisme. Et il faudrait te remercier ?
Mon amour à moi, il passait par tout ce que je te tendais : mon minois, mes émotions à fleur de peau, mes envies de proximité et de chaleur, qui ne trouvaient que ta froideur en réponse. Alors, non, je n’ai pas grossi et je ne grossirai jamais ! Je n’ai pas besoin de bouffer pour compenser tout ce que je ne donne pas autrement. Je n’ai pas besoin de bouffer pour te dire je t’aime. Je te le dis, même si tu refuses de l’entendre ! Même si tu préfèrerais que je ne boude pas une deuxième part de cassoulet. L’amour ne se mesure pas à la taille de mon cul, tu entends ? C’est toi qui a un problème, maman. Alors lâche-toi un peu ! Dis-nous ce que ça t’as fait d’être notre maman ! Explique-nous un peu pourquoi quand on était petites, tu étais si souvent en colère, pourquoi le moindre truc t’exaspérait ? Nous, on croyait que tu ne nous aimais pas, que c’était pour ça que tu étais distante, froide, sévère. Trop rude. On croyait qu’on faisait les choses de travers, alors que c’était ta tronche à toi qui allait de travers. Et ça me bouffe encore aujourd’hui, d’attendre autre chose que tes plats fumants et odorants dans toute la maison. Ça me bouffe d’attendre de toi une reconnaissance que je n’ai jamais eue.
Non, je ne grossis pas et pourtant je ne passe pas mon temps à faire attention comme tu le penses. J’ai même des accès compulsifs parfois. Des envies de chocolat ou de bonbons pour compenser ce trou béant que je porte au-dedans de moi, d’une mère qui voulait que je bouffe, d’une mère qui disait l’amour comme ça. Alors, quand je manque de ton amour, je me jette sur tout ce qui passe et je me remplis le gosier. Mais je ne grossis pas, non. Et je ne me fais pas vomir non plus. Ni d’anorexie, ni de boulimie. Des besoins, des envies. Les avantages du plaisir sans les inconvénients de la culpabilité. Je ne t’en remercierai pas pour autant… Et je peux te dire que je rêve du jour où tu n’auras rien préparé, du jour où tu ne nous demanderas pas ce qu’on veut bouffer la prochaine fois qu’on vient !
On s’en fout de ta bouffe, on vient pour toi. Et je rêve du jour où au lieu d’un plat fumant, ce sont tes bras tendus qui nous accueilleront. Tes bras et tes mots. Doux.
texte inspiré de poupoune