Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tant d'anecdotes reliées à mes fonctions naturelles d'élimination. Dans tous les cas, en voici une autre. Donc, l'affaire est la suivante. Depuis les grandes chutes de neige, le nombre d'endroits où aller faire le petit jardinage nocturne s'est considérablement réduit sur le domaine de la Patronne, du moins pour ceux qui comme moi n'ont qu'une paire de souliers de vélo à se mettre aux pieds. Bref. Je suis donc allé pendant cinq jours au même endroit, à la pointe de la véranda. C'est un lieu exigu qui ne permet pas d’adopter de multiples positions d’arrosage. Il n'y a qu'une posture, toujours la même. En fait, le tir s'effectue à travers une petite clôture de bois qui a la réputation d’avoir été mise en place par la Patronne pour empêcher que Bryan ne mange les poules. Bryan est le nom de son monstrueux berger de la Croze, une espèce de clébard décérébré et enthousiaste, bref, la pire des engeances. En tout cas. On s’égare. Un peu d’ordre et d’attention dans le public, sans quoi je ne raconterai pas la partie poétique et émouvante de mon histoire.
Donc. Où en étions-nous ? Ah oui. La clôture. Par un de ces petits hasards qui font la vie si belle et permettent de profiter des bons temps malgré l’indéniable noirceur de notre époque marquée par les guerres, l’injustice systémique, la socio-schizophrénie et surtout ce petit cancrelat de Mika, la clôture en question crée un filtre qui fait en sorte que mes petits travaux d’horticulture crépusculaire dessinent de ravissants rayons jaunes dans la blanche neige de l’Uzège. Le matin, c’est avec éblouissement que je découvre la progression de l’œuvre pointilliste et naïve née de l’interaction entre l’humanité (représentée ici par mon zizi) et son environnement sauvage et indomptable (la neige dans le jardin de la Patronne). J’entends d’ici les plaintives interrogations des geignards qui gèrent leur temps comme si leur personnage de Second Life en dépendait : « De-y-où-c’est qu'y est-y le paradoxe du titre, man ?! ». J’y viens.
C’est qu’en fait, figurez-vous, ces rayons dorés ne sont pas sans rappeler les vieilles illustrations du soleil ! Vous me voyez peut-être venir, uhm ? Le paradoxe vient du fait que le soleil (le vrai) est sorti ce matin. Et quelle est la première chose que ce gros imbécile s'est empressé de faire en se levant ? Il a fait fondre la neige, bien sûr ! Du coup, le soleil a effacé le soleil. Le platement vrai a éradiqué le merveilleux (et vermeilleux), détruisant au passage tout le lyrisme qu’il avait pourtant lui-même inspiré. Ironie finale, son œuvre de destruction à peine terminée, le soleil (le vrai) est retourné se planquer derrière un paravent de cumulus affolés et depuis, il pleut. Voilà. La vie est bien mélancolique, certains jours. Tiens, je vous quitte, tout ça m'a donné soif.© Éric McComber