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Amis de la poésie – épisode 4

Publié le 14 janvier 2010 par Diekatze

C’est alors que mon espoir renaît brutalement lorsque le maître de cérémonie réapparaît pour annoncer l’entracte. Ah ! (et ouf, aussi) pensai-je aussitôt. Alors que la moitié de la salle se levait pour aller faire la queue au bar et faire remplir les chopes de bière brune, je concoctai en secret une stratégie hypocrite : je laisserais passer cinq minutes de politesse et je filerais en douce en prétextant n’importe quoi. Ragaillardie, j’affichai un sourire aimable et je cherchai mes « amis » du regard. La moitié d’entre eux avait disparu dehors pour promener le petit de deux ans ou fumer une cigarette, et l’autre moitié était en train d’enfiler vestes et sacs à main : ils se faisaient la malle ! J’en étais bouche bée, je refusais d’y croire. J’essayai de me convaincre qu’ils allaient juste faire un tour, ou bien qu’ils avaient un peu froid, ou encore qu’ils allaient passer une nouvelle commande au bar. Je les observai, cherchai à accrocher un regard, histoire de leur rappeler ma présence parmi eux. Rien n’y fit, je me liquéfiais, je disparaissais presque sous mon siège. Ce coup-là, mon estime de moi était réduite à néant.

Soudain, Georgina se tourna vers moi, semblant se rappeler enfin qu’elle m’avait

79 Pohara Beach
invitée là, et me sourit très naturellement. Nulle culpabilité dans son regard. De plus en plus médusée, je demandai timidement : « Vous partez ? ».

- Oui, me répondit-elle dans un soupir. Je suis tellement fatiguée.

Et la voilà partie en effet, suivie de sa smala. « Bonne soirée », me lança-t-elle encore. Puis plus rien. J’étais figée. Ils m’avaient plantée toute seule dans ce bar ! Et tout ça avec le sourire, et la tranquillité d’esprit d’un nouveau-né. Je ne comprenais pas. Était-ce un comportement culturellement normal en Nouvelle-Zélande ? Ou bien de l’impolitesse pure ? Qu’importe, je devais me sauver avant que les poètes ne reprennent leurs rengaines. D’autant qu’il n’y a pas de pause, on enchaîne les textes les uns après les autres. Si je ne me sauvais pas maintenant, j’en avais pour une heure. Je n’eus pas le temps de finir ma pensée que des inconnus privés de chaise pendant la première partie s’installèrent autour de la table et entreprirent de faire ma connaissance. Ça, c’est bien une caractéristique néo-zélandaise, par contre. Les gens vous parlent, vous questionnent, vous demandent d’où vous venez, pourquoi vous êtes là. Sympathiques, accueillants, charmants. J’aime ça. Aussi, je papotai un peu avec la dame d’une soixantaine d’années à côté de moi, qui me raconta qu’elle était l’épouse d’un des poètes du jour, et aussi qu’elle aimait venir de Nelson à Takaka en vélo (110 km). Les néo-zélandais aiment les activités d’extérieur…

65 Milnthorpe
Ne perdant pas de vue mon timing restreint, je profitai qu’elle ait tourné la tête pour me baisser afin de retrouver mon sac à main à mes pieds, je me penchai vivement pour l’attraper, trop tard ! Le bermuda était revenu sur scène et déclarait la deuxième partie ouverte en appelant le poète suivant. Argh ! ma souffrance se lisait forcément sur mon visage, mais personne ne me regardait. De l’extérieur, tout avait l’air comme avant. De l’intérieur, j’étais glacée. Comme le temps m’a paru long. Comme il m’a fallu de respect devant le courage et la passion de ces poètes pour rester là à écouter leurs voix emphatiques et la suite incompréhensible de leurs mots. Qui a parlé de grands moments de solitude ?

Une heure plus tard, enfin, le dernier auteur descendit de l’estrade, me procurant du même coup un soulagement qu’il ne pouvait imaginer. Mon calvaire se terminait. Ma voisine de table me retint quelques instants pour me parler d’un bar formidable qui venait d’ouvrir à Nelson : on y apporte sa nourriture, on commande un café et lorsqu’on s’installe à l’une des longues tables, on est sûr de parler avec quelqu’un. Elle en avait les yeux qui brillent. Cette femme est une Kiwi pur jus. Mais toute amicale qu’elle soit, je n’en peux plus, mes jambes veulent se déplier, mon coccyx veut détruire le tabouret, mes narines me réclament le bon air extérieur. Je me lève, salue, remercie, et comme la frêle gazelle par le loup pourchassée, je disparais à jamais dans l’air frais et iodé, et par la Lune tendrement surveillée, dans mes pénates je cours me réfugier. Quoi ? Quand tu veux je te fais des poèmes dans ta face !


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