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Les paradoxes de la question de l'identité nationale (6-fin)

Publié le 15 janvier 2010 par Hermas
La question de l’identité nationale est grosse, enfin, de deux autres ambiguïtés – à ce qu’il nous semble – qui se rapportent l’une et l’autre à l’identification… de l’identité. Première ambiguïté : identité réelle ou identité désirée ? Dans le contexte actuel, la question de l’identité nationale entretient une confusion entre une interrogation portant sur ce que l’on est et sur ce que l’on veut être. Est-ce l’un ou l’autre, qui nous est demandé, est-ce l’un et l’autre ? Est-ce la seconde question qui est posée sous couvert de la première ? Il peut y avoir un abîme entre elles, comme il y a loin de la réalité qui nous fait face aux désirs que nous pouvons avoir qu’elle soit autrement. Ainsi, le désir ou la volonté peuvent constituer une trahison du réel ou procéder du parti de le changer. Je puis être chrétien et vouloir ne pas (plus) l’être, être responsable de ma famille et rêver de m’en émanciper, être tenu d’un devoir de fidélité et ne désirer rien tant que d’en être délié. Si je suis chrétien, parent, époux, et que l’on m’interroge sur mon identité, il ne sera évidemment pas égal que je dise que je suis tel ou que je réponde que je projette de ne plus l’être - bien que cela soit, aussi, une manière de dire ce que je suis... Alors ? La question porte-t-elle sur ce que nous sommes ou sur ce que nous ambitionnons de devenir, fût-ce en rupture de ce que nous sommes ou avons été ? Seconde ambiguïté : identité "déduite" ou identité "induite" ? 1°] Ce que nous appelons “identité déduite”, c’est celle qui résulte d’un certain nombre de facteurs dont les citoyens n’ont pas immédiatement la maîtrise ni la libre disposition. Elle constitue, avec ses éléments, ses richesses ou ses ombres un acquis, un héritage historico-génétique que nous n’avons nulle faculté de masquer, de modifier ou de nier si nous entendons répondre en vérité à la question : « Qui êtes-vous ? » Si je suis Pierre, je ne puis dire que je suis quelqu’un d’autre, que je suis Jean, ou que j’aimerais être Claudine. Si Henri est issu de tels parents et non de ceux de son ami Martin, il ne peut que dire les choses ainsi, lors même qu’il lui plairait qu’elles aient été autrement. Ainsi, qu’on le veuille ou non, le christianisme et, d’une manière plus générale, le judéo-christanisme est l’élément de civilisation à tous égards fondamental de l’identité de ce pays. Il en est ainsi à un point tel que ce pays, comme France, n’est pas même pensable sans cette identité-là, ni dans sa culture, ni dans sa conception de l’homme, de la responsabilité, de la liberté ou du monde, ni dans son droit, ni dans l'inspiration de ses relations sociales, ni dans ses institutions. Qu’on le veuille ou non, et quitte à paraître provocateur, c’est même une identité qui s’est construite en particulier contre l’islam, lequel ne partage pas le sens de ces conceptions. Pour n’être plus capable de faire le lien historique entre ces réalités vivantes et leur source, qui continue bon an mal an de les alimenter, il faut être repassé aux barbares. On peut bien sûr se penser en barbare, pourquoi pas ? On peut rêver de faire de la société française une société de bêtes, ou de païens, et s’enivrer des vents d’incroyance, de relativisme et de haine de soi qui porteront bientôt les conquêtes impatientes d’autres barbaries, mais parle-t-on alors encore d’identité française ? 2°] L'identité "induite” d'une société, c’est celle, précisément, que l’on croit pouvoir identifier à partir de son comportement du jour ou de ses croyances du moment, abstraction ou rupture faite de toute identité historique et culturelle. perdurant dans le temps. Tels nous vivons, tels nous sommes. Ce que nous sommes, c’est ce que nous vivons et pensons, ici et maintenant, avec notre culture ou notre sous-culture du jour. L’approche n’est évidemment pas fondamentalement fausse, que traduit en particulier la sagesse populaire : « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es ». Qui ignore l’activité d’un être, nous dit aussi saint Thomas dans le prologue du Livre II du Contra Gentes, ne peut pas connaître parfaitement cet être. Cependant, en notre débat, une telle approche peut nous conduire à identifier ce que nous sommes devenus, mais pas forcément ce que nous devrions être. Or la question de l’identité nationale a-t-elle une utilité, voire un sens, si les réponses à lui apporter n’ont pas pour objet d’orienter des convictions et des comportements ? Et que vaut une telle orientation si elle ne part pas de l’identification de ce que l’on doit être ? Et que saura-t-on enfin de ce que l’on doit être si la seule mesure de cette mesure est l’opinion du jour et la validation par le fait de toutes nos façons de voir et d’agir actuelles, et jusqu’aux plus dévoyées ? Quand Socrate invitait à la connaissance de soi, c’était pour conduire ses disciples à s’identifier comme hommes, à écarter ce qui n’en relève pas, et à vivre dès lors comme des hommes dignes de ce nom. L’invitation de Pindare procédait de la même inspiration. Quand le Christ interrogeait ses disciples : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » (Mathieu, 16 15), il ne remettait évidemment pas le sort de son être aux débats de leur opinion comme en avaient débattu les populations de Césarée : « C’est Elie ! Non, c’est Jérémie ! Mais non, qu’est-ce que tu nous chantes, c’est Jean, le Baptiste ! » Il orientait leur regard sur l’identification réelle de ce qu’il est, Lui, « chemin, vérité et vie », afin qu’elle leur serve de lumière et de guide. La réponse à la question, malgré les apparences, n’était pas libre, et lorsque Pierre, répondant au nom de tous, l’a cernée et exprimée, en disant « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt, 16,16), ce dernier lui a ouvert le sens de sa vocation : « Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle » (Mt 16,18). Ce dialogue est hautement révélateur et dépasse largement son cadre évangélique : il y a toujours une corrélation entre ce que l’on est et ce que l’on est appelé à être, d’où l’importance de ne pas apporter à la question de l’identité une réponse dévoyée. Nous en revenons ainsi à l'une de nos interrogations premières, présente en ces différents articles : la question posée, en l’espèce, peut-elle recevoir une réponse ? De notre point de vue, ce ne peut être le cas qu’à la stricte condition que cette réponse intègre une histoire et une culture qui, de fait, quoi qu’on en ait, sont fondamentalement chrétiennes et en lesquels nous devons continuer de chercher nos repères dans l’évolution présente de la société – sauf à renoncer définitivement à ce que nous sommes. La réponse serait alors que nous ne sommes plus rien. L’exigence d’une réponse juste est d’autant plus forte que la question est plus grave. En effet, qu’on le veuille ou non, cette société est profondément bousculée par le mondialisme et confrontée à des difficultés redoutables, provoquées à la fois par son collapsus culturel et spirituel intérieur, fruit de l’échec persistant des politiques d’enseignement public, de la perte des valeurs individuelles et sociales [encouragée par les pouvoirs publics] et de la crise de l’Eglise, par sa possible dissolution dans un espace européen marchand lui-même sans identité culturelle assumée et par la présence massive de l’islam. Renoncer à se réclamer aujourd’hui de l’héritage chrétien, là encore qu’on le veuille ou non, c’est se disposer demain à se reconnaître musulmans. Ce n’est pas la laïcité, tournée en religion de bazar, qui nous en protégera : c’est une muraille de papier, qui n’illusionne que ses sacristains. Corrélativement, notre société n’est-elle pas déjà trop malade pour apporter cette réponse juste ? Tenter d'en apporter une, comme il paraît admis, sur le fondement présupposé de la haine de soi ou de la volonté de dissoudre le passé, qui anime tant de nos contemporains, c’est répondre à Socrate que nous ne sommes pas des humains et au Christ qu’il est un marchand de songes. Evidemment, on peut toujours le dire, si l’on croit voir là l’expression de l’ultime liberté de disposer de soi. Mais c’est édifier sur du sable, pour reprendre l’image de l’Evangile, et se préparer un crépuscule douloureux. C'est, à y regarder de près, la liberté du suicidé. C'est naturellement une éventualité à laquelle il faut être préparé. Ce n'est pas une surprise pour un disciple du Christ que les civilisations soient mortelles. C'est le moment, quant à nous, de nous rappeler que nous sommes avant tout citoyens du ciel, que le Christ sera le dernier mot de l'histoire, et que, dans cette attente et cette certitude, nous devons être témoins de sa Parole et de sa vie pour rappeler à nos contemporains, y compris dans l'ordre social, ce que nous devons à cette vie et à cette Parole et ce qu'il y a lieu d'en attendre pour la paix du monde. P. G.

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