Nathalie Pages ne se sent pas très bien. La preuve, c'est les soldes et elle n'en profite pas.
Quelque chose, cette année, la dégoûte, de cet empressement nécessaire vers la marchandise accessible, de cet appétit sans assouvissement que provoque la consultation des portants trop
remplis du prêt-à-porter.
Elle ne sait pas dire, exactement, ce qui la gène ou la pertube. C'est comme si en elle quelque chose se diluait. Comme si les traits de son visage devenaient illisibles, à force,
peut-être d'être communs, puisque son existence entière ne se dessine que ce par ce qui est communément répertorié. Ou peut-être ce qui se dilue en elle est le désir, du moins le dessein, de son
auteur. C'est cela qu'elle ressent, que ce qu'elle forme est indécis, et s'épuise et s'assèche avant d'être dessiné.
Mais il y a autre chose. C'est comme si en elle quelque chose était une proie. Ce qui la guette, elle ne sait pas. Elle ne sait pas si c'est sa propre avidité sans objet qui la menace de
dévoration, ou bien un contexte social, économique, qui n'est un festin pour certains que parce que d'autres jouent le rôle de la victuaille. Ou bien, ou bien, encore, peut-être,
ressent-elle tout près d'elle la fureur d'une Médée putative prête à dévorer ses propres enfants.
Pour lutter contre ces visions de dévoration, pour éviter de leur trouver des raisons, disons, politiques, ou littéraires, ce qui est parfois la même chose, Nathalie ce soir prendra de quoi
dissoudre son angoisse en même temps que son visage, Nathalie avalera le psychotrope, dont elle fait une consommation moyenne de 2,25 boites par an.
pour plus d'informations statistiques sur la population d'Angoisse, cliquer ici (car ce serait plaisant de lui
assigner un territoire bien circonscrit)
