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UN POU D'ORGUE,mini-feuilleton en 17 épisodes (suite du 20 janvier)

Publié le 20 janvier 2010 par Christian Cottet-Emard

La version 2009 intégrale de ce mini-roman humoristique que j'ai écrit en 2008 est parue en édition pré-originale dans la revue des éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.

7
Le professeur Bang monta dans le prétentieux 4 x 4 climatisé de monsieur Cafardo et demanda : « vous n’avez pas de routes dans votre campagne ? »
— Eh ben si, on a des routes, s’étonna Cafardo.
— Alors pourquoi avez-vous besoin de ce tank pour vous déplacer ? grommela le professeur.
— Toujours le mot pour rire, mon cher Alastair ! tempéra le maire en pensant : ça commence bien...
— Et comment va l’épouse de ce vieux Phénol ? renchérit le professeur.
Le maire avala de travers et toussa. Hénol, Alastaire, Hénol.
— Je parie qu’il me fait encore la tête, cet imbécile de Phénol !
— Il ne veut pas vous voir, vous savez.
— Ça tombe bien, moi non plus, conclut le professeur en se trémoussant pour tenter de fouiller ses poches.
— Avez-vous besoin de quelque chose, Alastair ? s’inquiéta le maire.
— Mes pastilles. J’ai dû les oublier. Dites-moi, monsieur Cafardo, pourquoi laissez-vous les vitres ouvertes alors que la climatisation tourne à plein régime ?
— Nous arrivons, professeur, annonça Cafardo avec soulagement. L’hôtel est le plus calme de la région.
— C’est très bien, mais conduisez-moi tout de suite à l’abbatiale. Je ne suis pas venu faire du tourisme. Eh bien, je vois que nous avons un comité d’accueil. Bon, je vais essayer de ne pas me casser une patte en descendant de ce camion. C’est pire qu’à la sortie de l’avion...
— Alastair, je vous présente...
— Enchanté, coupa le professeur. Nous bavarderons plus tard. Monsieur le curé, ouvrez-nous donc la maison de Dieu où le diable a cru bon d’envoyer une de ses créatures, si j’ai bien compris.
La vieille Jacinthe leva les yeux au ciel, le pompier et le gendarme se regardèrent en hochant la tête et le curé tourna la clef dans la serrure avec précaution. Le professeur passa le premier, avança jusqu’au milieu de la nef, leva les yeux et émit un sifflement admiratif.
— Remarquable spécimen !
— Alors, qu’en pensez-vous professeur ? murmura le curé.
— Je viens de vous le dire.
— Alastair, nous apprécions beaucoup votre humour, mais nous devons absolument nous débarrasser de cette chose, supplia le maire.
— Oui, faut le zigouiller. Et vite ! s’impatienta le garde champêtre.
— Ne nous énervons pas, dit le professeur en sortant de sa sacoche un appareil photographique muni d’un téléobjectif. Il fait trop sombre pour faire des photos mais avec ça, je pourrai au moins l’observer de près. C’est incroyable. Vous avez une centrale nucléaire dans le coin ? Mais non, je plaisante !
Le professeur rangea son appareil et s’adressa à la vieille Jacinthe : « madame... »
— Mademoiselle, rectifia la vieille Jacinthe en ajoutant : vous ne trouvez pas qu’il y a une drôle d’odeur ?
— Non, je ne sens rien. Mademoiselle Jacinthe, pourriez-vous me dégoter une petite pelle de ménage avec une balayette, si ce n’est pas trop vous demander ?
La vieille Jacinthe disparut quelques instants du côté de la sacristie puis revint à petits pas avec la pelle et la balayette. Le professeur sortit une enveloppe de sa poche, se plaça sous le buffet de l’orgue, à la verticale de l’insecte, balaya le dallage de pierre lustré, recueillit un petit tas de poussière avec la pelle et le vida soigneusement dans l’enveloppe.
— Alastair, pouvez-vous m’expliquer ? dit le maire.
— Voyez-vous mon cher, toutes les créatures en ce monde laissent une trace. Vous et moi, comme mademoiselle Jacinthe, ainsi que tous les autres membres de notre sympathique assemblée, nous semons partout de petits souvenirs, par exemple sous notre lit, des morceaux de peau morte qui font d’opulents déjeuners pour les acariens. Notre invité ne fait pas exception à la règle.  Aussi vais-je envoyer une partie du contenu de cette enveloppe à l’analyse et en garder une autre que j’inspecterai moi-même. En attendant, je mangerais bien quelque chose.
8
Une petite contrariété attendait ce matin le professeur Alastair Bang. Après avoir quitté son pyjama, il voulut se procurer des sous-vêtements propres et ne trouva dans sa valise qu’une dizaine de maillots de corps et pas la moindre culotte. Saisissant son téléphone portable, il essaya en vain d’appeler la jeunette qui l’avait mis dans cet embarras mais l’écran indiquait « absence de réseau ». Dépité, il s’habilla et descendit directement à la réception où somnolait une grosse femme aux yeux minuscules et au visage luisant. Elle lui tendit le combiné d’un téléphone fixe et le professeur put enfin entrer en communication avec la jeunette. Celle-ci se répandit en excuses. « Ce n’est pas grave, mademoiselle. J’ai encore un peu de temps à passer ici, alors vous n’avez qu’à m’envoyer les culottes au tarif urgent. » Les yeux de la grosse réceptionniste s’ouvrirent tout rond. « Et vous ajouterez mes pastilles, pendant que vous y êtes. » À l’évocation des pastilles, la voix de la jeunette se brisa. Elle semblait si désolée que le professeur entreprit de la réconforter au moyen d’une de ses plaisanteries scabreuses qui fit rosir le visage sans cou de la grosse réceptionniste.  « Professeur, vous êtes un cochon ! » susurra le combiné.
— Grouips, grouips, répondit le professeur avant de raccrocher sous le regard incrédule de la réceptionniste.

À suivre... Prochain épisode vendredi 22 janvier 2010.

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2009.


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