Max | The big's jetons

Publié le 22 janvier 2010 par Aragon

Entre le Larzac et moi il y a une histoire d'amour passionnelle, fusionnelle. J'avais, en un temps de ma vie, mes "habitudes" en pays héraultais. J'allais à Gignac régulièrement pour participer à des séminaires et dès que j'avais un moment de temps libre je montais toujours seul vers les contrées perdues de l'immense Larzac.

Je montais donc par une route incertaine - Gignac/Arboras/La Vacquerie - véritable chemin qui grimpe au ciel par des lacets "vertigineux", qui mène en quelques kilomètres du niveau de la mer à plus de mille mètres, on met le pied alors sur ce causse sauvage.

Sa beauté me ravage. Terre de liberté s'il en est, et il en sera toujours. Terre de tous les combats aussi. Le Larzac ne se décrit pas. Il faut mettre pied dessus et pouvoir y rester sans risquer le vertige. Un causse se mérite, il n'est jamais facile, il ne se donne pas pas plus qu'il ne se prend. Au fil du temps il nous laisse y placer notre chair, notre peau, il colore les âmes, les change à  tout jamais. Le Larzac, rien que d'écrire son nom, des frissons me parcourent encore alors qu'il m'a donné en toutes ces années son coeur le plus profond et son souffle fécond. Alors qu'il s'est livré.

Une belle nuit d'été, un soir de pleine lune, vers 22 heures, je décidais d'y monter. Le temps était exceptionnel, la route miroitait, sans les phares on voyait à des kilomètres à la ronde. J'arrivais en un lieu que je bénis tout particulièrement. Où mille fois suis allé sans jamais me lasser, un lieu où j'ai marché jusqu'à n'en plus finir. Cet endroit m'attirait par sa chapelle désolée, intacte, vivante et magnifique, magnétique, devrais-je dire. Elle est au bout d'un chemin de garrigue, entourée de buissons épineux, de buis millénaires. L'endroit est vraiment magique. Les immensités du ciel et du causse étaient à moi. Je serai leur maître cette nuit.

J'avais décidé d'y aller car je voulais écrire. J'avais un cahier qui me suivait partout dans mes voyages. Je le saturais de poésie, de réflexions, d'aphorismes bidons. Il me fallait écrire en ce temps-là comme il me faut écrire maintenant, c'est comme ça, c'est ainsi, l'on ne se refait pas.

Ce soir-là, ivre de poésie, je m'étais dit que le lieu serait propice aux vers, la muse viendrait au rendez-vous. Vers 23 heures je garais ma voiture contre la chapelle. J'écrivais fébrilement à la lueur d'une lampe frontale, la lune aurait presque suffit. Je me suis assoupi vers minuit, réveillé en sursaut presque deux heures après...

Des bruits de voiture, plusieurs voitures. Elles venaient sur le chemin de la chapelle. Je ne bouge pas, j'attends. A l'époque, comme toujours à présent, je n'étais pas trouillard, cependant je trouvais ces voitures "bizarres". J'attends. Les moteurs s'arrêtent de l'autre côté de la chapelle. Plusieurs portes claquent. Là, je commence à trouver ça "craignos". Des jeunes qui viennent faire la fiesta ? Peut-être, j'essaye de me raisonner, de me concentrer, de retrouver mon calme.  Dur, dur, je gamberge sans pouvoir calmer mon esprit en ébullition. Puis un long moment de silence, très long, plus un seul bruit. Une éternité se passe.

Je me tasse dans mon siège, je commence à avoir la trouille, je me dis que je vais démarrer et filer en trombe en espérant qu'une voiture ne soit pas sur le passage. J'envisageais ce scénario quand je vois une ombre furtive se profiler dans mon rétro et plonger sans un bruit vers un buisson. Puis une autre, une autre encore et encore. De tous les côtés, il en vient de tous les côtés !

Là, mon sang ne fait qu'un tour, j'ai une trouille bleue, faut que je m'arrache. La frontale était reposée sur le siège avec mon cahier & crayon depuis les début de l'arrivée des moteurs. Je tourne la clé, mets le contact, embraye en un clin d'oeil, deux jours avant j'avais vu "Bullitt" au ciné-club. Je devais mieux faire que Mc Queen. Pas le temps de dire ouf. Je suis aveuglé par des torches qui pointent de partout autour de mon auto. J'entends, je l'entends encore, une voix grave impérieuse, glaciale, n'admettant aucune réplique qui me dit, qui me gueule plutôt, de baisser ma vitre, de stopper le moteur.

Le gros problème c'est qu'au bout de la voix il y a un calibre. Je reconnais la bête. 357 magnum. Le chien est relevé prêt à défourailler. Il est contre ma vitre, sa gueule noire à deux doigts de mon front. Putain, je suis cuit, qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Putain, crever sur le Larzac, ici, en ma chapelle Saint-Michel ! Merde, merde, merde ! Une autre voix - jumelle - venant de derrière, gronde : "Il a pas de flingue dans la caisse !"

Tout c'est passé très vite après. Ils ne m'ont pas braqué plus de 30 secondes. Les guns sont retournés dans les holsters quand ils ont vu qui j'étais. Un mec, un poète à la con qui venait écrire des vers sous la voûte du ciel étoilé, au coeur de la grande nuit du Larzac. Ils ont été sacrément dubitatifs quand je leur ai balancé le but de mon stationnement en ce lieu reculé, à mille lieues de l'âme la plus proche. L'un, un jeune, n'arrêtait pas de dire "Ecrire des poèmes ? Ecrire des poèmes ? Ecrire des poèmes ?"

C'était des gardes chasses fédéraux en uniforme, des rudes, des durs, des aguerris. La semaine précédente deux de leurs potes avaient reçus un kilog de chevrotines dans le buffet, l'un était mort, l'autre tout comme. Des bracos. Les gens d'ici, les bracos, sont aussi rudes qu'eux. Ils étaient donc à cran, ils flairaient une piste, ils voulaient la peau des assasins du soir. Ils étaient comme des sioux, sur le sentier de la guerre.

Je suis resté un peu pour discuter avec eux, ils m'ont serré la pogne en s'excusant du braquage, mais, m'ont-ils dit, je devais bien comprendre, fallait qu'ils prennent des précautions. Je leur ai dit que je comprenais mais que mon amour du Larzac était trop fort, je reviendrais bientôt, un autre soir de pleine lune. Ils m'ont dit alors que je roulais presque, de faire gaffe car si j'avais dérangé des bracos, j'aurais aussi morflé de la chevrotine car leur boulot ils le font en famille, peinard, pépère, il faut pas de témoin. Surtout pas de gardes fédéraux pas plus que de poètes.

Je ne suis plus jamais retourné de nuit sur le Larzac.