The blower's daughter

Publié le 24 janvier 2010 par Gaspard_w

J'ai ouvert les yeux dans le noir, tiré du sommeil par une sale image. Je me suis assis
dans mon lit, la tête écrasée par un début de migraine. J'ai regardé l'heure et il n'était pas tard.
Une ambulance est passée dehors, la lumière des gyrophares dans les stores vénitiens
a jetée de longs traits parallèles rouges et bleus sur les murs jaunes de ma chambre vide,
j'ai pris un Nurofen et mes clés pour sortir.

J'ai remonté Nevsky, en évitant les congères, les blocs de glaces. Le vent s'est engouffré
entre les deux rangées d'immeubles bas et a remonté l'avenue à contres sens.
Courbé, j'ai collé mes mains dans mes poches et mon menton contre ma poitrine et j'ai pressé
le pas, chacune de mes expirations ponctuées d'un nuage de buée humide.

Dans le bar j'ai regardé la mousse de ma bière se figer et les gouttelettes de condensations
se rassembler en flaque autour du verre. Finalement j'ai bu et dans l'air si froid ma bière
m'as semblé tiède, épaisse comme du sirop, imbuvable; mais je l'ai fini. Pour l'ivresse.

Un type m'a abordé, la main sur mon épaule, a tenté de se faire comprendre, "fransousky"
il a dit et j'ai dit oui, "fransousky", il a répété, j'ai confirmé. Il m'a payé deux vodkas
et un whisky, m'as dit son nom, Konstantine, m'as expliqué qu'il était maçon,
"constructeur de palais" il a dit et m'a filé sa carte parce que j'étais français, parce que
j'étais riche. Il a voulu me présenter ces copines et je me suis enfui.

J'ai remonté les quais, longé la Neva. J'ai regardé d'en bas l'ombre des bateaux,
des trois mats pris dans la glace, imposants et immobiles. J'ai écouté la nuit, les bruits
de la ville en me concentrant sur chacun de mes pas pour ne pas tomber, ne pas glisser
sur le sol verglacé. J'ai descendu les marches et fait quelques pas sur le fleuve gelé puis
me suis arrêté, j'ai contemplé l'enfilade de pont, la perspective prise dans la brume orange
et quand son visage m'a finalement traversé l'esprit, j'ai fermé les yeux, serré les poings,
pour la garder le plus longtemps possible. Je l'ai fixé derrière mes paupières closes,
le creux de sa lèvre supérieure, l'éclat de ses yeux verts qui me regardent moi. J'ai imaginé
sont sourire sans arriver à entendre sa voix et je me suis senti très seul et je me suis senti
très loin. Les souvenirs c'est ce qu'il reste quand on n'a plus rien.

J'ai fait demi tour, j'ai décidé de rentrer.

En Russie, par moins trente, les larmes gèlent dans les yeux, on les ferme et les paupières
crisses, comme les pas dans la neige.
Pardon si je pleure, c'est le vent, pardon si je tremble, c'est le froid.