Une certaine idée de la femme

Publié le 25 janvier 2010 par Roman Bernard

Il semble être de bon ton depuis plusieurs décennies de nous imposer, par médias interposés, qu'il s'agisse de cinéma, de télévision, de publicité, de clips, de livres ou de presse, une certaine iconographie de la femme. Cette image a évolué, bien sûr, en particulier parce qu'elle a dû se plier un minimum à la réalité et à l'opposition de fait du genre féminin, le nôtre ne comptant plus depuis longtemps (je parle de l'homme hétérosexuel). Le choix est assez maigre, puisque nous devons choisir peu ou prou entre l'image de la femme objet sexuel, soumise et lascive des clips de rap et autres chorégraphonies, celle idéalisée du porno-soft ambiant avec force retouches nécessaires (qui serait finalement acceptable si elle s'apparentait davantage à La Vérité de Jules-Joseph Lefebvre plutôt qu'à la dernière égérie de Playboy) et celle du canon homosexuel masculin.
De quelle image s'agit-il dans ce dernier cas, si ce n'est de la vision tantôt idéalisée, tantôt méprisée (ou les deux ensemble), qu'ont les homosexuels de la femme ? En effet, tout est fait pour la dénaturer et la « transgresser », quand ce n'est pas la « transgendrer ». On la fait maigrir, s'asexuer, s'avilir, se perdre. Tantôt putain, facile et vulgaire (on ne peut s'empêcher de penser à l'image galvaudée des transformistes), tantôt enfant, squelettique, asexuée et interdite.
La nouvelle Épinal voudrait que l'homosexuel aime les femmes (sous-entendu plus que nous qui ne rêvons que de les posséder), les comprenne et que ce sentiment soit partagé (sous-entendu car elles n'ont rien à craindre d'eux, au contraire de nous). Mais est-ce si vrai ? De qui la maîtresse doit-elle se méfier le plus ? Ne doit-elle pas se méfier davantage de celui qui la jalouse pour son pouvoir de séduction auprès de ceux qui se refusent à lui ? De celui qui l'imite au point de la caricaturer et l'enfermer dans une objectivité d'autant plus grande qu'elle ne peut être copiée ?
Personne ne relativise l'influence des homosexuels dans tout ce qui touche à la création artistique et à la gestion de l'apparence, mais leur créativité (qui n'est souvent que transgression, et donc modernité aux yeux ébahis de notre nouvelle intelligentsia, bluffée par tant d'irrévérence envers le modèle petit-bourgeois honni) a-t-elle servi effectivement une quelconque libération de la femme, assouvi ses désirs, servi ses intérêts ?
Pour illustrer mon propos, je me suis attaché à lire ce que proposait Jean-Paul Gaultier, dont tout le monde sait qu'il « aime les femmes » et en particulier sa grand-mère et ses petites mains. Pour sa collection hiver 2008-2009, il fait de la cage son point fort : « La femme se sent tellement libre qu'elle remet la cage. C'est le stade suprême de la libération des femmes », dixit le créateur. La collection printemps-été 2008 était sous le signe de la femme-sirène (encore une qui se défile...), celle du prêt-à-porter printemps 2010 s'appelle simplement « Point G », sans parler de la collection prêt-à-porter automne-hiver 2009-2010 pour laquelle je vous laisse savourer ce commentaire de Virginie Mouzat dans Figaro Madame :

« L'un des meilleurs moments de cette journée vient du défilé Jean-Paul Gaultier qui a choisi de parler sexe. Décor de maison close sur le fond du podium, on se dit : c’est facile. Mais Gaultier ne tombe dans aucun cliché, n'est jamais vulgaire. Ses robes noires pour filles de Madame Claude sont chicissimes. Le motif du X (ajouré, surpiqué, matelassé dans le cuir, en bretelles noires…), la bande ajourée (en fenêtre sur les jupes, en PVC dans la fourrure, en voile sur les pantalons, à l’ourlet des jupes et sur les collants voile/opaque…), la résille (qui emprisonne la fourrure, au dos des trenchs de cuir…) font passer le message. Le Gaultier spirituel est aussi doué que le Gaultier couturier, idées et vêtements sont aussi bons les unes que les autres. Car les robes de dominatrices, le fourreau porté par une belle soumise, les paupières baissées de force par un masque de cuir, les robes strictes à la construction parfaite, les costumes de mac sous influence punk sont absolument impeccables. À la fin, un combat de boue met l'audience en délire. On rit, on applaudit, on bat des mains sur Relax de Frankie goes to Hollywood. Par les temps qui courent, la libido est une valeur en hausse. Ajoutée à l’humour, ça vaut de l’or. En sortant, dans la rue du Faubourg-Saint-Martin, les manifestants anti-fourrure sont encore en train de hurler. Quelques journalistes retournent précipitamment leur manteau. On avait tout oublié chez Gaultier. »

Heureusement que nous étions avertis de ce qu'il n'y avait là aucun cliché ni aucune vulgarité, sans quoi nous aurions aisément pu commettre une impardonnable faute de goût ! Dans cette écriture de la femme, le sexe se doit d'être omniprésent, tantôt réducteur, tantôt émancipateur, souvent animé de ses propres volitions, mais jamais conforme. Ainsi, comment ne pas se poser la question de l'écriture projective des auteurs du film Jeanne et le garçon formidable lorsqu'ils font dire à Jeanne que l'homme de sa vie, donc de sa sexualité puisqu'il se résume finalement à une bite, tout le reste étant indéfini ou absent, n'est pas celui de ses rêves ?
Décidément transgresser et agresser pour exister est un bien pauvre destin. D'ailleurs tout est dit dans cette phrase d'une pauvreté et d'un nihilisme totaux : « L'amour peut rien contre la mort. »
Preuve s'il en est du travestissement et de l'inversion des valeurs, car s'il est bien certain que nous ne pouvons rien contre la finitude de notre existence, c'est bien au contraire la mort qui ne peut rien contre l'amour. Et si nous sommes humains justement, c'est que nous avons réussi à transmettre au-delà de la mort. Quant au sexe, sa réalité et sa vocation ne se limitent pas à la recherche d'une jouissance transfigurée ou sublimée, mais s'inscrit dans cette logique, car son essence-même est d'engendrer et de transmettre au-delà de la mort.


Christophe Agenet