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Haïti : l'aide psychologique nécessaire

Publié le 25 janvier 2010 par 509
Haïti : l'aide psychologique nécessaire
Parmi les dimensions de l'aide à apporter à Haïti (alimentaire, sanitaire, économique, infrastructure, etc.), dans le cadre du désastre du 12 Janvier 2010, le soutien psychologique est essentiel. Et cette aide psychologique est nécessaire non seulement aux sinistrés mais aussi aux professionnels de l'humanitaire eux-mêmes. Enfin, si elle veut être efficace sur le long terme, la philosophie même de l'aide humanitaire mériterait une analyse psychologique de ses fondements et de ses enjeux historiques, idéologiques et géopolitiques.
Aider les sinistrés mais aussi les professionnels de l'humanitaire
Il va sans dire qu'il faut aider les survivants « en bonne santé », les blessés, les amputés et les déplacés à élaborer leurs traumatismes. C'est un travail de longue haleine qui va s'étendre sur plusieurs générations. Il nécessite de penser aux résonances de l'événement du 12 janvier avec d'autres événements de catastrophes naturelles qui se sont survenues ces dernières années en Haïti. Je pense par exemple aux violents cyclones Jeanne et Anna qui ont frappé le pays en 2004 - année du bicentenaire de l'Indépendance - et en 2008. Les séquelles post-traumatiques vont s'observer aux niveaux corporel et psychique. L'attaque des symboles du pays (la Cité de l'indépendance (Gonaïves), le Palais national, le Mausolée, etc.) vont avoir des conséquences énormes sur les individus, les familles, la nation et l'Etat tout entier. Le traumatisme est aussi historique.
Le peuple haïtien est fondamentalement résilient. Il a déjà fait face à de nombreuses catastrophes naturelles et politiques. L'impact du séisme du 12 Janvier a réactivé ses défenses et sa logique de survie. En témoignent les secours locaux mis en place en attendant l'aide de l'extérieur. Il est important de contenir les effractions traumatiques dont il est l'objet à l'heure actuelle, de soutenir sa capacité de résilience et de l'accompagner dans le cheminement de la symbolisation de son histoire. Il va donc falloir mettre en place des dispositifs qui puissent l'aider à mobiliser ses énergies et son intelligence pour composer avec l'altérité de l'aide humanitaire internationale.
Ainsi, les professionnels de l'humanitaire peuvent être investis comme pôles identificatoires, ou comme points de repère pour ce travail d'élaboration du traumatisme. Ils peuvent même être investis comme étant des « tuteurs de résilience ». Cependant, pour être efficaces et disponibles psychiquement, ils ont eux aussi besoin d'être étayés psychologiquement dans leurs activités. Même s'ils sont formés pour intervenir sur des situations difficiles, ce sont avant tout des humains qui ont des histoires personnelles et nationales pouvant entrer en résonance avec celles des victimes. Ces professionnels auront aussi un après-coup traumatique à gérer dans leurs vies nationales, professionnelles et personnelles. Faire face à des cadavres, à des blessés graves, à des amputés, avoir à amputer des personnes dans des conditions extrêmes avec les moyens du bord, accueillir la détresse psychologique de patients au bord du gouffre... n'est pas sans confronter aux limites de l'humain. Et aussi de l'humanitaire.
Soutenir les sinistrés suppose donc d'étayer à une autre échelle ces professionnels, qu'ils soient locaux ou étrangers. Cela suppose aussi de réfléchir sur les postures institutionnelles et internationales avec lesquelles ils sont impliqués sur le terrain.
Analyser les postures idéologiques de l'aide humanitaire
Manifestement l'aide humanitaire est pensée « pour le bien » des victimes. Cependant, cette intention ne suffit pas pour qu'elle atteigne son objectif. L'aide humanitaire peut être une source insidieuse de maltraitance. La situation d'urgence et l'état de précarité physique et psychologique de la population peuvent empêcher de percevoir certaines violences sournoises dont les effets peuvent être observés en temps réel et à long terme sur les sinistrés comme sur certains professionnels de l'humanitaire convaincus de ne « faire que du bien » à ces derniers.
Dans le cas d'Haïti, voir par exemple des puissances américaines et européennes se disputer le monopole de l'aide pendant qu'il y a encore de potentiels survivants sous les décombres, des survivants assoiffés, affamés attendant de l'eau au milieu de cadavres en putréfaction ; voir des militaires (humanitaires ?) larguer de la nourriture à partir d'un hélicoptère à une population affamée à peine sortie d'une période d'émeutes de la faim ; étiqueter sans distinction cette population de pillards, etc.... tout cela vient ajouter aux traumatismes inhérents à l'événement sismique lui-même. Ce spectacle médiatique n'est pas sans réveiller certaines postures colonialistes et impérialistes que la France et les Etats-Unis ont tenues envers Haïti. Dans le contexte actuel, il peut être interprété, à tort ou à raison, comme du néocolonialisme.
Ancienne colonie française « Perle des Antilles », Haïti a obtenu son indépendance politique depuis 1804. Haïti n'est plus officiellement sous l'occupation américaine qui a duré de 1915 à 1934. Il est temps de se dégager de ces périodes difficiles et de repenser des rapports plus équitables et plus sereins entre les pays.
L'aide humanitaire à Haïti ne doit pas être qu'une affaire de quantité de dollars ou d'euros. Ces sommes colossales n'auront aucune efficacité sans des relations humaines internationales de qualité qui engagent sinistrés et humanitaires dans le respect des altérités et de l'Humanité...
Bref, le dispositif d'aide psychologique à mettre en place pour Haïti doit être pensé à plusieurs niveaux et sur le long terme. Ce tremblement de terre est suffisamment catastrophique, les dégâts matériels et humains sont suffisamment importants (plus de 112 000 morts, plus de 195 000 blessés, un million de sans-abri, etc.) pour que les Haïtiens sur place, ceux de la diaspora et la communauté internationale se donnent la peine de penser les choses en profondeur, sur la longue durée et à l'échelle globale.
Daniel Derivois
Franco-haïtien. Psychologue clinicien,
Maître de conférences en psychologie interculturelle,
Université de LyonYon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.

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