4 Décember 2006, lendemain du fameux diner chez Nobu
Règle numéro 1: ne jamais abuser du sake au milieu d'une production pour un gros client. Même du très bon sake de chez Nobu... Grâve erreur...
Le lendemain de notre merveilleux diner, j'ouvrais les yeux pour constater que le soleil brillait, les oiseaux chantaient... "Humm... Quelle belle journée!" fut ma première pensée... Puis, je tournai la tête et tombai nez à nez avec mon réveil qui me faisait les gros yeux affichant son sévère 10 heure zéro zéro (10.00AM). Prise de panique, je me redressai brusquement et d'un geste automatique, agrippai des deux mains ma tête toute entière, pressant bien fort de peur que mon crâne ne s'ouvre... Mon Dieu! Un marteau-piqueur était en train de me labourer le cerveau... AÏE! Mon sourire s'effaça aussitôt. Je me traînai tant bien que mal sous la douche, attrapant au passage une boîte d'aspirines et appelant mon agent pour m'excuser de mon retard honteux.
- ELINOR! Tu plaisantes!!! Mais ça va faire une heure que je t'appelle!
- Mon téléphone était éteint... Je suis désolée...
- Je t'ai appelé un chauffeur. Soit en bas de chez toi dans cinq minutes SHARP!
Et elle raccrocha.
Mon Dieu... La journée s'annonçait mal...
Dans le taxi, je me donnais des petites tapes sur les joues pour stimuler mon système nerveux qui ne semblait pas nerveux du tout... Et je buvais bouteille d'eau sur bouteille d'eau, repensant à notre agréable soirée mais surtout à Jack...
Dix jours! Dix jours que Jack et moi nous tournions autour et rien. Je ne comprenais pas. On était tellement complices mais il n'essayait pas de me charmer, je le voyais bien. Il me donnait des tapes amicales sur l'épaule, me filait des coups de coude, et me faisait des clins d'oeil en toutes occasions mais rien d'autre. C'était la première fois que ça m'arrivait. En général, c'était plutôt l'inverse avec les garçons... A rien y comprendre. Et le problème c'est que je commençais vraiment à m'attacher à lui... Nous passions des moments si savoureux tous les deux. Il me faisait rire, il était sensible, ouvert, attentif... Et nous nous comprenions si bien... "JE FONDS JACK" avais-je envie de lui hurler à chaque instant. "SI C'EST UN JEU AUQUEL TU JOUES, JE T'EN SUPPLIE, ARRÊTE DE JOUER AVEC MOI!!" Mais je préférais mettre ça sur le compte de la timidité...
De ce que je racontais à Billie et à Paige, elles avaient toutes les deux conlues qu'il était marié. "Mais il me l'aurait dit!!", avais-je rétorqué... Je connais tout de lui... Le nom de ses parents, Marwin & Daisy, son lieu de naissance, Brighton, le nom de son premier lapin, Irvin, puis du deuxième, Black, jusqu'au dernier, Moustache, sa marque de jean préféré, Citizens of Humanity*, son magasin favori à New York, Odin**, sa salle de sport, New York Health & Racquet Club***, la marque de son vélo, un Raleigh Vintage****, où il la acheté, Landmarck bicycles*****, son rêve, publier un livre de portraits d'enfants en noir et blanc, ses passions, ses peurs... Tout. Tout...
J'arrivai au studio de Greenpoint, devenu ma deuxième maison... Jack m'accueillit.
- Hey Bird!
- Jack! Ça va? Je suis désolée de mon retard...
- Ne t'en fais pas. Je viens d'arriver... me confia-t-il dans l'oreille. Ce sake !!!...
Nous échangeâmes un regard complice, puis un sourire gêné, et pouffâmes de nervosité...
- Bon allez, file dans les loges. Ils t'attendent. En plus, c'est la journée du Beauty Shot!
- Oh nooonnnn.....
Jack me lança un regard compatissant et m'encouragea en posant sa main tendre mais ferme dans mon dos et me poussant en direction du maquillage...
Le Beauty Shot. Mes yeux seraient bientôt ensevelis sous une montagne d'eye liner, ombres à paupière, faux-cils, strass noirs, cristaux Swarovski******, et broderies Lesage*******. Jack et moi avions vu les intentions sur le tableau de création qui trônait au milieu du studio deux jours plus tôt et nous étions dévisagés, fascinés par cette composition, certes magnifique mais extrêmement ambitieuse!
Mais effectivement, deux heures plus tard, j'étais prête pour le Crazy Horse. Le résultat était cependant spectaculaire. Mais tellement inconfortable... Les faux-cils me faisaient l'effet de deux étaux accrochés aux extrémités de mes paupières, et ne me donnaient envie que d'une chose, fermer les yeux et aller dormir. La petite broderie était posée sous mon oeil parsemé de cristaux colés à même la peau... Ça tirait, ça grattait, ça piquait... Et cet inconfort était évidemment acccentué par ma migraine lancinante... Les joies de mon métier de mannequin! On me faisait parfois subir les pires misères...
- Ils te font souffrir ma pauvre chérie? s'inquiéta Jack me voyant arriver, méconnaissable
- Oh ça va... J'suis habituée...
- Mais ça tire pas trop la peau ces cristaux là...? dit-il en m'effleurant le visage du bout des doigts
- Euh non... ça va... balbutiai-je
Mes jambes me lâchaient... Je m'aggripai au lavabo derrière moi et m'installai sur le rebord, pour être sure de ne pas tomber...
- Ça va? s'inquiéta Jack qui avait surpris mon malaise
- Humhum
- Bird. Tu es sure?
Jack plongea ses yeux dans les miens comme pour décripter la vérité et était maintenant à quelques centimètres de mon visage. Je pouvais sentir son souflle. Mes mains aggripaient le rebord froid du lavabo et j'avais peur que mes ongles ne cassent sous la pression. Mon coeur battait à tout rompre. Je reculai légèrement, sentant ma tête tourner et cherchant un appui pour mon dos, et c'est alors que le drame se produisit. Je me sentis partir en arrière mais c'était trop tard. Je basculai et tombai à la renverse. Le mur était bien plus loin que je m'étais imaginée... Je continuai ma chute et rien ne semblait me retenir et Jack, dans un geste brusque, tenta de me rattraper et me mis un coup dans le visage, emportant avec lui la broderie Lesage et quelques cristaux. Je me retrouvai les fesses dans le lavabo, la tête contre le mur carrelé, le bras coincé sous le robinet et la jambe en l'air, Jack à moitié sur moi, une main en appui sur le mur le retenant de tomber davantage. C'en était trop. Dix jours à jouer avec mes sentiments et voilà où nous en étions. La fureur me prit et c'est alors que je bondis de rage:
- MAIS ENFIN JACK!!!! A quoi tu joues? hurlai-je
- Quoi? réagit-il, complètement interloqué. Il semblait avoir cinq ans et demi d'un seul coup, pris en flagrant-délit-de-grosse-bêtise.
- Mais Jack... Enfin... C'est quoi cette histoire? Qu'est-ce que tu attends de moi au juste? articulai-je, désemparée
- Mais...
Il ne semblait pas comprendre...
- Jack! Tu es marié ou quoi?
- Euh... Non. Mais j'ai une copine... Nous sommes fiancés. Amy... Elle vit à Londres... Mais je t'en ai parlé... souffla-t-il, la mine ahurie
J'étais sans voix... M'en avait-il parlé? Étais-je à ce point dans ma bulle?
- Mais non Jack... Jamais... réussis-je à lui répondre, sous le choc
- Tu saignes... hésita-t-il
- Quoi?
- Tu saignes, répéta-t-til en sortant un mouchoir de sa poche et me l'appliqant sur la lèvre
- Oh c'est pas vrai...
À ce moment là, je relevai la tête pour constater que le studio entier était en train d'assister à notre petite scène de ménage, les yeux écarquillés et la bouche ouverte. Le client était rouge de colère, les assistants se mordaient les lèvres pour ne pas exploser de rire...
- OH-MON-DIEU, pensai-je
Je me relevai tant bien que mal, les yeux emplis de larmes. Je sentais ma lèvre gonfler sous le mouchoir. Tom, arriva vers moi avec une poche de glace qu'il appliqua sur mon visage sans un mot. Je traversai la foule le regard tourné vers le sol et m'échouai sur le canapé de la loge, les mains tremblantes, et les jambes en coton...
Le Beauty Shot était ruiné. Le client furax. J'allais me faire détruire par mon agent. Jack ne voudrait probablement plus jamais m'adresser la parole... J'étais mortifiée...
Dix jours à me faire des plans sur la comète (car j'étais spécialiste pour ça à l'époque) pour rien. Son coeur n'était plus à prendre... Il allait se marier... Mais enfin qu'est-ce qu'il lui avait pris de me cacher ça... Mais quelle déception... Quelle tristesse... Je retenais mes larmes, ma colère aussi, bien que je semblais incapable de lui en vouloir... J'étais même triste pour lui et m'en voulais terriblement d'avoir fait un tel scandale, devant son plus gros client... J'étais sur le point de céder aux larmes quand je vis Charlie, foncer sur moi, paniqué.
- Eli! Ma pauvre chérie mais que c'est-il passé??? Tu vas bien??
- Oui oui ça va, répondis-je, peu convaincue, les larmes commençant leur descente sur mes joues dévastées.
- Eli... Mon pauvre chou... Parle moi...
- Non non... Plus tard peut-être...
- Bon. Comme tu veux...
- ...
- ...
- Ça va toi? réussis-je à articuler entre deux hoquets
- A vrai dire, j'espère pouvoir te remonter le moral... Je t'apporte une bonne nouvelle...
- Ah bon? m'étonnai-je, d'une voix bien trop aigüe
- Oui, sourit-il. Pour l'appartement...
- Vraiment?
- Tu sais que je possède plusieurs immeubles dans Manhattan et après notre discussion d'hier, j'ai appelé mon bras droit ce matin. Il y a deux appartements qui se libèrent en janvier 2007, sur le même palier. C'est pas immense mais plutôt sympathique. Le quartier est très agréable et c'est relativement calme puisque l'un donne sur une cour intérieure et l'autre sur un jardin. C'est au septième et dernier étage et donc très lumineux comme tu aimes. Il y a un accès au toit et les voisins sont, parait-il, agréables et discrets. J'ai pensé que toi et Billie pourriez prendre un appartement chacune. Vous seriez bien toutes les deux dans le même immeuble non? Qu'en dis-tu?
- ...
J'en restais bouche bée...
- Et pour le loyer ne t'en fais pas... Ce n'est pas cher du tout...
- Charlie... chuchotai-je en m'empressant de le serrer bien fort dans mes bras.
Je n'en revenais pas...
Le reste de la journée fut un vrai cauchemar. Les regards accusateurs de tout le monde. La discussion musclée entre le client, l'agent de Jack, la productrice, mon agent, Jack et moi au milieu, silencieux. Et quand le soir, je relatai les faits à Paige et Billie, stupéfaites, nous concluions en se disant que je venais de voir s'évanouir le rêve d'avoir enfin rencontré l'homme de ma vie mais j'avais incontestablement gagné un ange gardien...
*Citizens of Humanity, 860 S. Los Angeles St, Suite #533. Los Angeles, CA 90014
http://www.citizensofhumanity.com/index.html
**Odin, 199 Lafayette St, New York NY, #(212) 966-0026
***New York Health & Racquet Club, 62 Cooper Square, New York, NY 10003, #(212) 904-0400
****http://www.raleighusa.com/bikes/road/
*****Landmarck bicycles, 136 E 3rd St, New York, NY 10009, #(212) 674-2343
http://www.landmarkbicycles.com/
******http://www.brand.swarovski.com/Content.Node/home.en.html#/en/home
*******http://www.plisses-lesage.com/index.php