2 Décember 2006, 9AM - Entrepôt transformé en studio photo, Greenpoint, Brooklyn
Cela faisait maintenant une semaine que l'on se retrouvait tous les jours, à Greenpoint, pour shooter la campagne Jolie Smith Vintage et je commençais à vraiment bien aimer travailler avec cette fine équipe, et surtout avec Jack...
J'étais en train de boire un café avec Tom, le coiffeur, lorsque ce petit Monsieur, tout chétif, était entré dans l'entrepôt, le pas mal assuré. Il semblait être à la recherche de quelqu'un quand il m'avait aperçu. Son regard s'était arrêté net. Il avait hésité un instant puis s'était dirigé vers nous, les yeux écarquillés.
- Bonjour Mademoiselle, me dit-il en me tendant sa main fragile et en plongeant ses yeux doux dans les miens
- Monsieur, répondis-je en souriant tendrement
- Je cherche la productrice du shoot...
- Oh... Elle est sûrement dans les loges, avec le photographe...
- Je vous remercie Mademoiselle...
Sa main était toujours dans la mienne et son regard dans le mien. Il ne bougeait pas...
- Je m'appelle Charles Sigler. Mais tout le monde m'appelle Charlie...
- Enchantée Charlie. Je suis Elinor mais tout le monde m'appelle Eli, lançai-je avec un clin d'oeil. Et voici Tom.
- Enchanté Eli.
Il était resté un moment, silencieux, puis m'avait remercié et s'était dirigé vers les loges... Ce petit bonhomme était trop émouvant, avec ses yeux bleus cristallins et ses cheveux blancs coupés courts...
- Weirdo*!!, ricana Tom
- Bah non. Touchant... dis-je en m'éloignant, contrariée par sa moquerie
Jack m'avait aperçu, marmonner dans ma barbe et s'était approché...
- Qu'est ce que tu racontes toi? rigola-t-il
- Non rien... Tu le connais? lui demandai-je en pointant mon regard vers Charlie qui discutait avec la productrice, de l'autre côté du studio.
- C'est Charlie, le propriétaire des lieux! Oui, je l'ai rencontré pendant les repérages. Il est extra ce type. Très calme, et adorable. Pourquoi?
- Je l'aime bien.... avouai-je en souriant
***
Charlie était resté trainer sur le set toute la journée avec nous. Il observait, puis discutait avec Jack. Tout deux me lançaient des regards de temps en temps et j'étais drôlement curieuse de savoir ce qu'il se tramait... Du coup, j'avais fini par me lever pour les rejoindre...
- Excusez-moi de vous dérangez Messieurs... Mais il semblerait que l'on parle de moi...
- Oh. Je suis confus, intervint Charlie. C'est ma faute. Je dois vous confesser mon secret... Vous ressemblez étrangement à ma femme quand elle avait votre âge et cela s'avère être extrêmement troublant pour moi...
- Oh...
- Mais il ne faut pas que cela vous mette mal à l'aise surtout...
- Non non... Je comprends mieux l'épisode de ce matin c'est tout... Vous m'avez regardé avec tant d'insistance...
- Oui je m'excuse.
- Je vous en prie... Alors comme ça vous êtes le propriétaire de ce drôle d'endroit?
- Absolument, dit-il fièrement
C'était étrange, mais Charlie et moi nous étions tout de suite sentis en confiance l'un avec l'autre. Je lui rappelais sa femme et il me rappelait mon grand-père... On avait le sentiment de se connaître je crois. C'est ce qui nous a rapproché. Je me souviens qu'il était resté déjeuner avec nous ce jour-là et je m'étais amusée à lui décrire un à un tous les membres de l'équipe, en les désignant discrètement d'un coup de fourchette et en lui faisant des messes basses. On avait bien rigolé. C'était un monde tellement surprenant pour lui, Monsieur l'Homme d'Affaires qui avait travaillé toute sa vie en cravate et costumes trois pièces. Ici, sur le shoot, il y avait Tom qui affectionnait particulièrement les chemises à paillettes, Philip, l'assistant photo, qui avait les cheveux teints en rose, Becky, l'assistante prod, qui portait des robes tous les jours plus farfelues et colorées...
- A mon tour de m'incruster! intervint Jack. Vous avez l'air de bien rigoler. Je suis un peu jaloux...
- Nous parlions juste des sushis qui, si je puis me permettre, sont immangeables, mentit Charlie en me faisant un clin d'oeil
- Oh vraiment?
- Absolument. Et je disais justement à Eli que je l'emmenerai manger des vrais sushis, digne de ce nom, demain soir chez Nobu**. Souhaiteriez-vous vous joindre à nous mon cher ami?
- Oh mais ce serait avec grand plaisir!
***
Et c'est ainsi que nous nous étions retrouvés tous les trois à déguster le meilleur repas japonais de toute ma vie, au Nobu, le dimanche soir. Charlie commandait et nous le regardions faire, émerveillés. "Gouttez moi ce Black Cod!" annonça-t-il fièrement alors que le serveur nous présentait ce poisson blanc caramélisé à la sauce Miso. Ce mélange de sucré/salé, légèrement croustillant au début puis fondant sur la langue, laissant un goût subtil en bouche... Un vrai bonheur... Puis un tartare de saumon délicatement épicé, une salade de homard aux champignons noirs, un vaste assortiment de sushis, makis, et tempuras, au saumon, thon rouge, coquilles Saint-Jacques... les crevettes Matsuhisa et caviar, le karei (la sole japonaise) servi avec la sauce spéciale du chef... le tout arrosé d'un excellent sake. Une véritable expérience pour le palais, des surprises à chaque bouchée... Nous partagions un succulent diner et de passionnantes conversations... Charlie nous raconta ses débuts dans le monde des affaires, ses premiers gros coups qui lui avaient rapportés des millions alors qu'il avait à peine trente ans à l'époque, sa maison dans les Hamptons, sa passion pour les courses de chevaux... Je leur parlai de mes amies Paige et Billie et de ma rencontre inopinée, six mois plus tôt, avec cette dernière. Je partageai nos inquiétudes concernant son problème d'appartement, nos croyances en son talent incontesté pour le chant et la musique... Jack nous confia que sa famille lui manquait mais qu'il était très heureux du tournant que sa carrière prenait depuis un an...
Et puis nous avions fini la soirée à débattre sur le dernier film de Woody Allen, Scoop, qui venait de sortir au cinéma, en savourant la bento box de M. Matsuhisa : un soufflé tiède au chocolat, servi avec un sirop de shiso, une sauce au chocolat blanc et une glace au thé vert. Mes papilles étaient au comble du bonheur...
Je vous laisse sur cette note sucrée... A demain!
*Un fou un peu bizarre...
**Nobu, 105 Hudson Street, New York, NY 10013, #(212) 219-0500
http://www.noburestaurants.com/newyork/index.html