"rockollection" **

Publié le 24 novembre 2009 par Elinorbird

Il n'était pas loin de 4PM. Il fallait que l'on se dépèche car le musée fermait ses portes à 6PM. Nous sortions de Prospect Parc
à la hâte, passions devant ses magnifiques colonnes et son arc triomphant et nous engagions sur Eastern Parkway pour regagner le Brooklyn Museum*. Simon et Georges était repartis vers la maison et nous avions enfin un moment entre filles. Nos jambes étaient frigorifiées par le froid mais nous nous sentions revigorées.
- J'aime tellement quand tu viens nous rendre visite Eli!
- Je sais... Je devrais faire ça plus souvent. J'ai passé une excellente journée.
- Tu vois que l'on ne vit pas dans un trou paumé...
- Je l'admets. C'est très sympa. Et puis c'est plus paisible, moins de monde, moins de bruit... Ohlala mais tu m'entends! On dirait que j'ai quarante ans... "C'est plus paisible...!" Je crois que l'on se fait vieilles... Tu te souviens quand on s'est rencontrées. Les soirées que l'on se faisait avec les copines! Ça n'arrêtait pas... D'ailleurs, j'en parlais avec Billie l'autre jour et on se disait que heureusement qu'elle était dans le monde de la musique. Ça nous permettait de garder ce côté un peu jeune et branché.
- Vous me faites rire toutes les deux... Il n'y a quand même rien de mal à grandir, prendre de la maturité et arrêter les gamineries. Ça ne fait pas de nous des vieilles peaux pour autant. Et puis un jour, on va se marier et avoir des enfants. Faudra bien prendre nos responsabilités de toute façon... Surtout que ce jour là va arriver bien plus vite qu'on ne le pense...
- Dis donc. Il n'y aurait pas un message subliminal là-dessous?
- Non. Mais... me répondit Paige en fuyant mon regard...
- PAIGE! Dis donc! Ne me la fais pas à l'envers!
- ...
- Welcome to the Brooklyn Museum of Art. How can I help you? nous interrompit l'hôtesse alors que nous arrivions au guichet du musée.
- Euh. Oui... Deux entrées s'il vous plait...
- Mais non Eli. Le musée fonctionne aux donations ici. Comme au Met! Tu donnes ce que tu veux...
- Bon ok. Bah voilà dix dollars alors... dis-je en tendant mon billet. Bon! Attends! Tu crois pas t'en tirer si facilement...
- Thank you Ladies. Enjoy your visit!
- Oui. Merci. Bon. Paige! Attends une minute!
- Eli... Y a rien à dire... Ça fait juste un moment que nous sommes ensemble avec Simon et on en parle un peu, de bébé et de mariage... C'est tout...
- Mouais... répondis-je, pas convaincue du tout. Je la connaissais depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'elle me cachait quelque chose...
- Bon Eli. Ça va faire trois semaines que tu me parles de cette expo alors qu'est ce que tu dirais d'en profiter et d'arrêter de pinailler sur des détails??? Hein?
Et elle était partie devant...
"Pinailler sur des détails"... Des détails... Mon oeil!... Si ça se trouve elle attendait déjà un bébé.... Ou alors Simon l'avait demandé en mariage.. Non. Oh non... Elle me l'aurait dit quand même... Hummm...
Mais je n'eus pas le temps de m'astiquer la cervelle bien longtemps. J'étais entourée des plus grands artistes des cinquante dernières années et mon regard fut tout de suite attiré par ce sublime portrait de William V. Robertson représentant The King of Rock 'N' Roll, Elvis Presley, en concert à Tampa, en 1955. Les yeux fermés, les genoux rentrés, la guitare relevée, il avait vingt ans à l'époque et la passion l'envahissait...

(cette expo allait me plaire...)

Un peu plus loin, on découvrait Madonna posant pour Amy Arbus dans les rues de NYC en 1983 dans son grand manteau d'homme ultra large. La légende nous apprenait qu'Amy avait aperçu Madonna de sa salle de gym et, l'ayant reconnue, était descendue pour la prendre en photo. Madonna n'était alors qu'au début de sa carrière tandis que les clichés d'Amy paraissaient à l'époque dans le Village Voice tous les mois.
Des portraits de Jimi Hendrix, des Talkings Heads, des White Stripes, des Beatles, des Rolling Stones, de Patti Smith, Buddy Holly, Aretha Franklin, Bob Dylan... L'exposition retraçait la période rock de 1955 à nos jours à travers les yeux inquisiteurs de grands photographes. Backstages, concerts, fans agités, séquences émotion, témoignages d'amitié, d'amour, de passion... L'exposition, très riche, mélangeait aussi bien des photos de scène absolument démentes, avec toute l'extravagance que l'on peut espérer, que des photos beaucoup plus intimes, des instants volés, emplis de magie. Comme celle prise par Linda McCartney intitulée "My Love, London, 1978" et représentant le reflet de l'oeil et du nez, si reconnaissables, de son ex-mari, dans le rétroviseur central sur fond de Londres... Ou encore ce portrait de Ian Tilton suprenant Kurt Kobain pleurant en backstage lors de la tournée de Nirvana en 1990. Ian Tilton, qui suivait le groupe cette année là, avait dit de cette photo: "Very real moment that Kurt allowed".
Puis, au passage des allées, une série de noir & blanc représentant des moments de concerts uniques: Janis Joplin en 1977 dans ce qui ressemble à un vieux garage. Le genou droit relevé, elle empoigne le micro à deux mains... On peut entendre le son de sa voix rien qu'en admirant ce portrait de Godlis. Acclamé par une foule en délire, Elton John, supris par Barrie Wentzell en 1973, prenant appui des deux mains sur le clavier de son piano pour élever son corp entier vers le ciel, les pieds au dessus de la tête. Une sublime photo de Grace Jones courbée en deux, se fondant derrière son accordéon au Théâtre Royal de Londres en 1981. Puis des vidéos hystériques de Bjork et un portrait de la chanteuse, nue, dans les bois de Woodstock...

- Alors? Tu as aimé? me demanda Paige qui venait de me rejoindre
- Oh oui! Et toi?
- Beaucoup... répondit-elle, l'air songeur, posant sa tête sur mon épaule
- Je crois que la photo qui m'a le plus marquée est le polaroid de Madonna pris par Maripol en 1983 dans la boîte de nuit new-yorkaise Danceteria. Son visage est à moitié caché par le verre de vin qu'elle porte à sa bouche, une cigarette coincée entre les doigts. J'aime l'idée du polaroid. De l'instantané. Comme un moment volé. Et quand tu penses que Maripol et Madonna étaient amies, et qu'elles faisaient partie de la même scène artistique des années 80 à New York... Je ne sais pas comment expliquer mais ça me touche... Je trouve ça vraiment authentique et fort. Un polaroid est vraiment personnel je pense.
- Je vois ce que tu veux dire... Moi j'ai bien accroché sur les détails du montage réalisé par Jean-Paul Goude pour sa muse Grace Jones dans la dernière salle. Tu as vu comme son corps est sculptural?!
- Oh oui! Dément! Le corps qu'elle a! C'est du pur délire!! C'était pour quel album déjà?
- Island Life!
- C'est ça...
Et nous avions continué notre petite compte rendu de l'expo en marchant jusqu'à la station de métro, où Paige m'avait quitté pour aller se réfugier bien au chaud, chez elle, au coin du feu. Le vent soufflait très fort et j'avais peur de devoir attendre le train pendant des heures mais il était arrivé tout de suite. Je m'étais installée bien confortablement, songeant à l'excellente journée que je venais de passer et repensant à ce petit secret que Paige me cachait... Il ne tarderait pas avant que je découvre le pot aux roses...


*Brooklyn Museum of Art, 200 Eastern Pkwy, Brooklyn, NY 11238, #(718) 638-5000
http://www.brooklynmuseum.org/exhibitions/rock_and_roll/
**Le titre "Rockollection" est emprunté à Laurent Voulzy, magicien des mots.