(Un 27 janvier de l'année 2000, dans mon cyberjournal )
9 h. Persisteront deux heures encore avant que l’hôpital ne finisse par me lâcher un coup de fil: Soit pour me notifier que ma chirurgie aura bel et bien lieu sous peu, c’est-à-dire dans les parages d’un 14 hrs sonnant, soit pour m’annoncer qu’elle sera reportée à plus tard...
9 h 05. Ce matin, mes phrases prennent un temps fou pour vous élucubrer cette correspondance. Probablement est-ce dû à mon ciboulot qui n’est pas du tout concentré et à mes doigts qui sont un tantinet trop flâneurs. Peut-être aussi est-ce dû à mon coeur qui bouille d’agacement parce qu’il sait d’avance qu’il va s’enflammer tout à l’heure, attendu qu’on va sûrement lui révéler une mauvaise nouvelle. Vu qu’habituellement, c’est continuellement de cette façon que se déploient les événements lorsque ça le concerne!
9 h 22. Seuls deux squelettiques paragraphes viennent d’être fécondés, j’ai l’habitude d’accomplir beaucoup mieux en vingt minutes, d’ailleurs, j’ai surtout l’accoutumance de jouir d’une variété plus considérable de vocabulaire, mais au jour d’aujourd’hui, pas de music-hall, juste des mots qui se coordonnent l’un à l’autre pour me raconter...
9 h 30. Je n’ai rien à relater, mais je persiste malgré tout à faire traîner cet épître d’un dernier jeudi de janvier. Peut-être que de la sorte 11 hrs aboutira plus rapidement, bien sûr qu’ il y aura toujours soixante minutes pour bourrer une seule heure, mais si plusieurs secondes continuent de s’écouler entre chaque paragraphe, le temps qui se répandra en mots me transparaîtra plus éphémère, davantage qu’un délai qui se sème en minutes... non?
9 h 41. Aucunement. L’attente, qu’elle soit enjambée par écrit ou par le dénombrement précis de chaque minute qui l’établit, elle demeure, dans les deux cas, considérablement harassante. J’aurai essayé de me distraire un brin, mais en vain!
9 h 48. Va bientôt falloir que je stoppe mon babillage. D’abord, parce que ma ligne téléphonique doit être libre. Ensuite, parce que si jamais c’était une bonne nouvelle au lieu d’une mauvaise, ce que je viens d’écrire n’aurait pas le temps de vous être transposé ici. Alors, je vous dis au revoir... et peut-être à tout à l’heure si jamais j’étais plus sur la liste des patients!
11 h 15. Pas de nouvelles. Donc, je me vois forcée de contacter l’admission de l’hôpital. Un infirmier me répond et me dit que je dois poireauter, parce que pour le moment, le patient qui me précède prend plus de temps que prévu. Je rogne en secret. D’ailleurs, pour ne pas perdre mon sang-froid je vais quérir mon frère, et au coude à coude, nous attendons.
11 h 45. Ma tolérance s’impatiente. Je joins à nouveau l’admission. Immédiatement, on m’identifie, et d’un ton qui augure mal, on me dit de patienter de nouveau; que ma chirurgie n’est pas annulée pour le moment, que j’aurai le verdict d’ici 13 h30. On m’avertit de continuer mon jeun, au cas où...
J’enrage, toujours à pas feutrés, mais c’est plus violent. Pour rendre les choses plus difficiles, mon frère doit quitter.
12 h 35. Je sais que j’ai perdu mon tour, cependant, je ne m’y résigne pas... tant qu’on ne me l’annonce pas clairement, me reste une lueur d’espoir. J’ai envie d’aboyer, mais c’est inutile. Nonobstant, je suis irritée de savoir que malgré tout ça je puisse encore entrevoir une bonne finale à cette journée, cela, en sachant fort bien que c’est pratiquement invraisemblable à cette heure-ci!
12 h 47. Que dalle!
12 h 48. Il faut que je me change les idées... mais comment?
12 h 50. Pourquoi faut-il sans cesse que ma vie soit alambiquée? Pourquoi les faits ne se présentent jamais comment ils devraient être disposés? Pour nous tourmenter!
12 h 51. Le téléphone sonne, c’est l’infirmier. Mon tour est à 16 hrs. Fantastique!
15 h. Je suis dans ma jaquette d’hôpital et j’attends dans une petite pièce mon tour. Deux hommes traînent là eux aussi. Je leur jase un peu, ça passe le temps et ça empêche de penser.
15 h 20. Une infirmière vient me voir et me demande si je veux me rendre à la salle d’opération sur civière ou à pied. Étant donné que j’ai le haut le coeur facile, j’opte pour une petite promenade. Dans ma belle jaquette bleue, mes gros bas blancs remontés jusqu’aux genoux et mes petites babouches bleues, je me promène de corridors en corridors jusqu’à la salle de chirurgie. Avoir su que c’était si éloigné, ma balade aurait été sur brancard... le saurai pour la prochaine fois!
15 h 25. J’suis étendue dans ma civière, une couverture au-dessus de mon petit corps, les yeux fixés au plafond, la caboche complètement vide... bref, tout va bien. N’ai pas capoté, mieux encore, je me dis que pour une fois j’ai bien fait d’ajouter foi à ma bonne étoile. Grosse connerie!
15 h 35. L’anesthésiste vient me voir. Il est bête, voire arrogant. Sa tête ne me plaît pas... Il m’interroge sur mes anciennes chirurgies afin de savoir si je vais lui donner du fil à retordre, après un moment de silence, il me dit qu’il va m’arranger ça... rassurant!
15 h 40. Une infirmière tire ma civière lentement au bloc opératoire, quand soudain, mon chirurgien m’accoste et m’annonce qu’il est trop tardif pour m’opérer. D’abord je crois à une plaisanterie. Mais en lui voyant l’air, je m’aperçois qu’il est sérieux. Il essaie de s’en tirer en m’annonçant que je vais être sur sa liste dès jeudi prochain à 8 heures du matin... je suppose que je devais lui sourire et le remercier, ce que je n’ai pas fait du tout. D’un bond, je me suis levée et suis partie les fesses à l’air sous ma jaquette jusqu’à l’admission de l’hôpital, ai demandé la clé de mon casier, me suis habillée, ai téléphoné à ma mère pour qu’elle vienne me chercher, et sans dire au revoir, me suis rendue directement au rez-de-chaussée.
16 h 30. Ma mère atterrit: Elle me regarde droit dans les yeux et me chuchote qu’elle est désolée pour moi. Elle m’arrache ma mallette et me ramène chez elle.
21 h. Alexandra vient me rejoindre chez mes parents. Elle me fait rire, me décontracte avec ses discours effrénés vis-à-vis mon toubib. Elle semble le prendre pire que moi, ça me rassure!
Presque minuit. Je serre les dents et absorbe posément ma journée. Toutefois, je ne peux pas supprimer cette impression d’avoir fait partie d’une comédie bouffonne et d’avoir été le guignol!