Magazine Humeur

Le prêtre et sa vocation à représenter le Christ - exigence et obscurcissement

Publié le 28 janvier 2010 par Hermas
A la suite des articles publiés sur "La débâcle liturgique", par Mgr Masson, il nous a paru intéressant de publier la traduction d'un texte écrit par un prêtre espagnol, le P. José María Iraburu, portant sur l'obscurcissement, dans la foi et dans les faits, de la fonction sacerdotale dans l'Eglise. Cette analyse part d'un autre point de vue, est mûrie dans un autre contexte, mais elle s'achemine, au fond, vers la même conclusion : la perte du sens du prêtre, chez beaucoup de prêtres eux-mêmes et chez beaucoup de laïcs, perte que corrobore souvent notre expérience personnelle et qui est révélée par une perte du sens liturgique. Lorsque ce sens est en recul, c'est en général l'homme qui prend le dessus, avec ses défauts, ses lubies, ses imaginations, son goût de paraître et de se mettre en avant. Le sens liturgique, le sens du prêtre, passe par l'effacement devant la fonction sacerdotale, devant le Christ agissant pour le salut du monde et la sanctification des âmes. Cet article peut être lu en espagnol sur le site de Schola Veritatis. Tout le peuple chrétien est sacerdotal, parce qu’il a pour chef le Christ-Prêtre et qu’il est voué à promouvoir la gloire de Dieu et le salut des hommes, en faisant de sa propre vie une offrande permanente. Pourtant, il a plu au Seigneur d’instituer un « sacrement spécial [celui de l'Ordre], par lequel les prêtres, par l'onction de l'Esprit Saint, sont marqués d'un caractère spécial et ainsi configurés au Christ-Prêtre, de sorte qu'ils puissent agir dans la personne du Christ-Chef » (1). La grâce propre de ce sacrement leur donne un nouvel être, qui les ouvre à une possibilité nouvelle d’agir. Dès lors, ces chrétiens, constitués prêtres et ministres, doivent vivre, toujours et partout, le ministère de la représentation du Christ parmi leurs frères. Sacerdos alter Christus. En effet, le Concile Vatican II enseigne que « le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, qui ont entre eux une différence essentielle et non pas seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre car tous d’eux participent, selon leur mode propre, de l’unique sacerdoce du Christ. Le sacerdoce ministériel, par le pouvoir sacré dont il jouit, forme et dirige le peuple sacerdotal, confectionne le sacrifice eucharistique en la personne du Christ, et l’offre au nom de tout le peuple de Dieu. Les fidèles, en revanche, en vertu de leur sacerdoce royal, concourent à l’offrande de l’Eucharistie, et l’exercent par la réception des sacrements, par la prière et l’action de grâces, par le témoignage d’une vie sainte, par l’abnégation et par une charité effective » (2). Avec plus de force encore, le Synode épiscopal de 1971, consacré au sacerdoce, affirme ces réalités de la foi : « Parmi les différents charismes et services, seul le ministère sacerdotal du Nouveau Testament, qui continue le ministère du Christ médiateur et qui est distinct du sacerdoce commun des fidèles, non seulement par degré mais par essence, pérennise l’œuvre essentielle des Apôtres. En effet, en proclamant efficacement l’Evangile, en réunissant et en guidant la communauté, en pardonnant les péchés et, surtout, en célébrant l’Eucharistie, il rend présent le Christ, Chef de la communauté, dans l’exercice de son œuvre de rédemption humaine et de parfaite glorification de Dieu. Le prêtre rend sacramentellement présent le Christ, Sauveur de tout l’homme, parmi ses frères, non seulement dans sa vie personnelle mais également sociale (II,4). Que le prêtre représente le Christ dans l'eucharistie, et qu’il agisse en sa personne, en son nom, est certain dans la foi. Les prières eucharistiques que le prêtre récite seul sont des prières « du Christ qu’il adresse par son Corps au Père » (3). Dans la liturgie de la Parole, c’est le Christ lui-même qui prêche à son peuple. C’est lui-même, certainement, qui dit dans la liturgie sacrificielle « ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ». C’est lui qui salut le peuple, qui le bénit et qui, à la fin de la messe, l’envoie dans le monde. Par ses ornements, ses paroles et ses actions sacrées, le prêtre est le symbole liturgique de Jésus-Christ, non seulement du Christ historique mais du Christ ressuscité et assis au ciel à la droite du Père, comme Prêtre de la Nouvelle Alliance, « vivant pour toujours afin d’intercéder pour nous » (Hébreux, 7, 25). C’est pourquoi, pour vivre pleinement de l’eucharistie, il faut être disposé à reconnaître le Christ dans le prêtre. Il est pratiquement impossible de saisir l’eucharistie dans la foi, et d’y prendre part, si l’on ignore ce mystère. En effet, le ministre-prêtre, à la messe, rend visible la présence et l’action invisibles de l’unique Prêtre, Jésus-Christ. Ce qui présuppose, évidemment, que le ministère du prêtre visible ne voile pas mais révèle cette présence invisible du Prêtre éternel. Si l’on ne voit pas le Christ dans le prêtre, alors la messe est en grande part inintelligible, et il sera inévitable que sa célébration sombre dans des pratiques erronées – surtout si le prêtre lui-même vit peu ce mystère de la foi. En voici quelques exemples. Le prêtre qui siège représente le Christ, qui préside (4) l'assemblée eucharistique, assis à la droite du Père. Le faire asseoir sur une petite chaise manifeste l’ignorance de cette réalité de la foi. Le Dimanche des Rameaux, les fidèles en procession acclament le Christ, représenté par le prêtre célébrant, qui entre dans le temple – à Jérusalem – pour offrir le sacrifice, et ils l’accompagnent avec des palmes ou des rameaux. Si le prêtre porte lui-même ces derniers, c’est qu’il n’a pas une claire conscience de ce qu’il symbolise le Christ en cette procession. Le prêtre ignore également cette représentation mystérieuse du Christ lorsque, en modifiant les salutations et les bénédictions, il dit à la messe : « Le Seigneur soit avec nous », ou bien : la bénédiction de Dieu « descende sur nous », ou encore : « allons en paix ». En réalité, en agissant de la sorte, non comme ministre représentant le Christ-Chef, mais comme un membre parmi d’autres du Christ, il cache le Seigneur, qu’il devrait au contraire rendre visible par ses actes ministériels. Les exemples pourraient être multipliés, qui nous conduiraient tous à la même constatation : la foi dans le ministère de la représentation liturgique du Christ est de nos jours souvent actualisée pauvrement, y compris par les prêtres. L’égalitarisme de la mentalité actuelle est, à n’en pas douter, l’un des conditionnements ambiants qui expliquent l’obscurcissement de cet aspect de la foi. Père José María Iraburu _______________ NOTES (1) Décret Presbyterorum ordinis, 7 décembre 1965, n° 2c. NdT : Le texte latin indique : « (…) ita ut in persona Christi Capitis agere valeant ». La traduction française du même texte indique, sur le site du Vatican, « (…) pour les rendre capables d’agir au nom du Christ Tête en personne », ce qui n’est pas la même chose. (2) Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen gentium, 21 novembre 1964, n° 10b. NdT : Là encore, où le texte latin dit que le prêtre confectionne le sacrifice eucharistique « en la personne du Christ », la traduction française indique qu’il le fait « dans le rôle du Christ ». (3) Constitution Sacrosanctum concilium sur la liturgie, 4 décembre 1963, n° 84. (4) NdT : Il est devenu habituel de parler du prêtre qui "préside" l'eucharistie. "Présider" vient directement du verbe latin "praesidere", qui signifie au sens propre "sièger devant". Ce terme exprime à la fois la préséance et l'autorité. L'auteur du présent article signale, à la fin de ce dernier, que la mentalité égalitariste contribue à obscurcir le rôle significatif du prêtre. Il nous paraît que, dans ce même climat, l'usage de ce terme "présider" contribue au même effet. Dans la mesure, précisément, où prêtres et/ou fidèles perdent le sens christique du prêtre, il est commun que sa "présidence" soit regardée simplement comme celle d'un primus inter pares, un premier parmi des égaux, que certaines thèses d'ailleurs, malheureusement répandues, jugent démocratiquement substituable, y compris dans son rôle eucharistique.

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