Magazine Humeur

Le bien commun (15)

Publié le 29 janvier 2010 par Hermas

CH III.– LE BIEN COMMUN, LOI SUPREME ET PRINCIPE SPECIFICATEUR DE LA SOCIETE PARFAITE (suite)

1. La société est nécessaire au bien de l’homme (suite)

B. Ce qu’ajoute la théologie

a] Toutes les créatures rationnelles ou intellectuelles [y compris les anges et les saints] se constituent naturellement en société, selon leur genre

Toutes les créatures rationnelles ou intellectuelles se constituent naturellement en société, selon leur genre et selon leur état : les anges et les hommes, les "viateurs" et les "compréhenseurs" (1), les saints et les damnés. Les uns sont unis par l’amour et par le bien commun ; les autres sont agglutinés, rattachés, liés par la haine et le mal ou par le malheur commun. La réunion en société est la loi commune et naturelle de toute créature dotée d’intelligence.

La théologie enseigne que les saints, dans le ciel, vivent dans une société et une harmonie parfaites, ce bonheur vécu en commun constituant une partie intégrale de la béatitude totale et consommée (2). Tous les anges, tous les saints, dans leur multitude innombrable, sont étroitement unis à Dieu et entre eux par une charité parfaite, laquelle donne à chacun de jouir du bonheur des autres comme s’il s’agissait de son propre bonheur : « Aussi l’allégresse et la joie de tous les élus s’augmenteront-elles de la joie et de l’allégresse de chacun d’entre eux » (3).

Les anges eux-mêmes, avant d’être élevés à la béatitude surnaturelle achevée, étaient constitués en société parfaite, avec ses hiérarchies, ses ordres et ses choeurs (4). Cette loi leur était si naturelle que même les anges prévaricateurs, les démons, ne l’ont pas perdue (5). Ceux-ci conservent un chef, qui est la tête de tous les autres (6), ainsi que des pauvres hommes qui ont le malheur de se condamner (7). C’est une société de bandits, de criminels, soumise au régime despotique du prince des ténèbres. L’une des plus grandes peines de ce dernier est précisément de devoir commander à de tels hors-la-loi, et l’un des plus grands tourments de ces misérables, de ces malheureux, est de devoir être commandés par le plus criminel et le plus répugnant d’entre eux. La peine des condamnés serait moindre s’ils ne se trouvaient en une telle compagnie d’individus qui ne cessent de se haïr, de s’injurier et de se maudire (8). Le proverbe espagnol selon lequel « il vaut mieux être seul qu’en mauvaise compagnie » trouve ici son application parfaite [à suivre].

  Traduction et NdT : P. Gabarra ©  

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NOTES

(1) NdT : Le mot ”viateur” vient du latin viator, qui signifie : le voyageur. Il identifie la vie de l’homme à une marche qui se déroule dans le temps et le conduit vers sa Patrie, le ciel, où vivent les ”compréhenseurs, c’est-à-dire ceux qui, arrivés à leur terme, y jouissent de la vision de Dieu. A propos des premiers, saint Thomas parle de « l'état de voyageur sur terre » (3, q. 7, a. 6). Comme telle, cette conception est profondément enracinée dans la pensée chrétienne médiévale, où le pèlerinage - et en particulier celui de Saint-Jacques de Compostelle, qui a structuré l’Europe chrétienne - constitue l’expression physique et spirituelle la plus dense de cette marche. Le pèlerin, en effet, n’est pas seulement un voyageur; il est, au sens propre, un voyageur étranger qui parcourt une terre étrangère, en laquelle il ne fait que passer, en se purifiant en route, par l’ascèse et la prière, de ce qui l’éloigne intérieurement du terme de sa quête. Hermas (2ème s.), dans le Pasteur, rappelait à ses lecteurs : « Vous savez que vous habitez sur une terre étrangère, vous les serviteurs de Dieu. En effet, votre cité est loin de celle-ci » (Similitude I, 50,1). L'identification du croyant au voyageur, au pèlerin, a son image première dans l'histoire du peuple choisi de l'ancienne Alliance, en marche vers la Terre promise. Elle est essentielle à la vision chrétienne.

(2) Somme de théologie, 1-2, q. 4, a. 8 : « Si nous parlons de la félicité dans la vie présente, il faut dire avec le Philosophe [Aristote], que "l'homme heureux a besoin d'amis", non pour son utilité, car il se suffit à lui-même; ni pour sa délectation, puisqu'il possède en soi, du fait de l'activité vertueuse, la délectation parfaite; mais pour le bien de son action, c'est-à-dire pour avoir la possibilité de leur faire du bien, pour trouver du plaisir en voyant le bien qu'ils accomplissent, et pour être aidé par eux dans le bien que lui-même accomplit. L'homme a besoin en effet, pour agir vertueusement, du concours des amis, tant dans les oeuvres de la vie active que dans celles de la vie contemplative. Mais si nous parlons de la béatitude parfaite que nous posséderons dans la patrie, la société des amis n'y est pas nécessairement requise; car l'homme trouve en Dieu la plénitude de sa perfection. Toutefois, cette société amicale concourt à l'heureux épanouissement de la béatitude, ce qui fait dire à S. Augustin: "La créature spirituelle ne reçoit, pour être bienheureuse, que l'aide intérieure qui lui vient de l'éternité, de la vérité, de la charité du Créateur. Si l'on doit dire qu'elle reçoit une aide extérieure, peut-être la reçoit-elle seulement en ce sens que les élus se voient mutuellement et se réjouissent de former une société" » (trad. éd. du Cerf).

(3) Saint Thomas, Commentaire du Credo, article 12, n° 172 d). Réf. Du site docteurangélique.

(4) Somme de théologie, 1, q. 108

(5) Les propriétés naturelles demeurent intactes après le péché : naturalia post peccatum manent integra. NdT : « Ainsi que le dit Denys, les biens naturels sont demeurés intacts chez les anges pécheurs, en dépit de la très grande gravité de leur faute » (saint Thomas, sur les Sentences, L. II, dist. 34, q. 1, a. 5).

(6) Somme de théologie, 1, q. 109, a. 1-2

(7) Somme de théologie, 3, q. 8, a. 7 : « Lorsque des hommes, en commettant le péché, sont conduits à cette fin [se détourner de Dieu], ils tombent sous le régime et le gouvernement du Diable, et celui-ci peut être appelé leur tête ».

(8) Somme de théologie, 1, q. 109, a. 1-2


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