Il faut le voir, et l’entendre, pour le croire !
Le télévangéliste américain Pat Robertson a déclaré sur sa chaîne télévisée (CBS - Christian Broadcasting Network) qu’ «il s’était passé quelquechose en Haïti, il y a longtemps, dont personne n’ose parler»: les Haïtiens pour se débarrasser des colonisateurs et des esclavagistes se sont rassemblés et ont «signé un pacte avec le diable».
Je n’invente rien, regardez plutôt:
(Extrait de la déclaration de Pat Robertson)
“Something happened a long time ago in Haiti and people might not want to talk about .They were under the heel of the French, you know Napoleon the third and whatever. And they got together and swore a pact to the devil. They said ‘We will serve you if you will get us free from the prince.’ True story. And so the devil said, ‘Ok it’s a deal.’ And they kicked the French out. The Haitians revolted and got something themselves free. But ever since they have been cursed by one thing after another”
En résumé: en se débarrassant de l’occupant français, les Haïtiens ont agi contre la volonté de Dieu (ce qui sous-entend que Dieu était esclavagiste ?!). Ils ont donc pactisé avec ce diable, que les missionnaires en Haïti tentent désespérément d’éliminer depuis deux siècles: le vodou.
Ici Palabre n’a ni la compétence ni la légitimité pour répondre à des propos aussi dogmatiques qu’extrémistes, que quelques millions d’Américains, évangélistes, baptistes et autre ultras, prennent pour argent comptant, et vous demande donc de lire absolument les réponses de Ch. Didier Gondola (Indiana University) et Dianne Diakité (Emory University Atlanta) parues les 19 et 27/01/10 sur le site d’Africultures: Haïti la maudite? / Le vodou n’est pas responsable du tremblement de terre à Haïti .
Sur un sujet aussi grave, Ici Palabre ne peut toutefois rester sans réagir, et comme toujours, c’est dans l’art que nous trouvons la voie du bon sens et de la vérité historique.
Voici donc une oeuvre, qui à défaut de clouer le bec des inquisiteurs, a le mérite de rappeler qu’il y a presque deux cents ans, une humanité bien pensante née dans les douleurs de la révolution française et attachée au seul texte important de notre histoire, la Déclaration des droits de l’homme -que Pat Robertson n’a sans doute jamais lue -, avait perçu dans l’acte d’indépendance d’un peuple l’accomplissement ultime d’une union pacifique entre la raison et la foi, qui, d’un point de vue idéologique, n’avait à cette époque qu’une signification essentielle: l’affirmation de la liberté.
Ce tableau, Le Serment des ancêtres (Huile sur toile, 340X280, Palais National, Port-au-Prince), fut peint en 1822 par Guillaume Guillon-Lethière (1760-1830), mulâtre né en Guadeloupe d’un père colon et d’une mère esclave. Unique tableau réalisé par ce contemporain de David rappelant ses origines caribéennes.
Il représente la rencontre historique entre le chef des mulâtres de Saint-Domingue, Alexandre Pétion (président d’Haïti de 1807 à 1818), et le général noir Jean-Jacques Dessalines (à gauche), lieutenant de Toussaint Louverture. Les deux officiers scellèrent en novembre 1802 une alliance pour chasser les troupes françaises, soit deux ans avant l’indépendance.
Un détail qui mérite d’être mentionné: dans son intervention, Pat Robertson situe l’indépendance d’Haïti (1804) à l’époque de Napoléon III(«Napoléon the third and whatever»), lequel n’est né qu’en 1808! C’est dire quelle connaissance ce gourou a de l’histoire.
On est donc loin ici du pacte avec le diable imaginé par Pat Robertson. L’oeuvre atteste même exactement le contraire, le peintre s’étant attaché, par solidarité avec la jeune république noire, à montrer toute la légitimité d’un serment qui se serait conclu solennellement sous le regard approbateur de Dieu.
Voici donc qu’en 2010, 188 ans après la réalisation de ce tableau, surgissent à nouveau les forces obscures et manipulatrices de l’ignorance, frappant d’hérésie l’une des religions les plus anciennes de l’Afrique et de ses peuples déportés, et déclarant finalement illégitime l’existence d’un peuple dont la souffrance n’a d’égale que la monstruosité de ce nouveau Dieu conquérant, ce Dieu «tueur des dieux des ancêtres», auquel une certaine Amérique blanche, aussi inculte que maléfique voue une adoration aveugle.
Jean-Michel NEHER
[email protected]