Pour le synopsis :
IVème siècle après Jésus-Christ. L'Egypte est sous domination romaine. A Alexandrie, la révolte des Chrétiens gronde. Réfugiée dans la grande Bibliothèque, désormais menacée par la colère des insurgés, la brillante astronome Hypatie tente de préserver les connaissances accumulées depuis des siècles, avec l'aide de ses disciples. Parmi eux, deux hommes se disputent l'amour d'Hypatie : Oreste et le jeune esclave Davus, déchiré entre ses sentiments et la perspective d'être affranchi s'il accepte de rejoindre les Chrétiens, de plus en plus puissants...
Historiquement, on en sait très très peu sur cette philosophe et astronome qu'est Hypatie notamment à cause de la disparition des écrits lorsque la bibliothèque d'Alexandrie a brûlé.
Mais il y en est resté des traces. Wikipédia peut vous renseigner, au moins pour la bibliographie si le sujet vous intéresse.
Il est évident que le film est romancé, mais rares sont les films qui vous rejettent à la figure des vérités simples et pourtant oubliées.
D'un point de vue totalement photographique et de réalisation : c'est superbe. Les reconstitutions sont fort bien réalisées (bon, le réalisateur a de la bouteille aussi ;-) ), le recours aux effets spéciaux même si on les remarques est fort bien intégré (parce qu'il est évident que nous n'avons pas les moyens d'avoir une vue d'Alexandrie du ciel, encore moins celle du célèbre phare...) et cela ne choque point l'oeil. D'ailleurs, la remise dans le contexte : du plus petit vers le plus grand qui émaille le film, est fort bien trouvé.
La bande son est elle aussi très réussie, elle accompagne à merveille les évènements. Je serais bien incapable de dire à quoi elle ressemblait autant de jours plus tard, mais le fait que lorsque j'ai regardé le film je ne me sois pas dit "mince, c'est trop fort" ou "oh, la musique est soûlante là", c'est un signe qui ne me trompe pas : la musique est parfaitement adaptée. Et à la fin, j'avais envie d'en entendre plus car le générique de clôture était très beau.
L'interprétation des acteurs est elle aussi à la hauteur du défi. Avec une telle histoire, une sorte de quatuor amoureux : L'esclave, l'élève, une femme douée et la science. Il aurait été facile de tomber dans le pathétique ou le gnangnan. Mais non, encore une fois, une réussite.
Et pourtant, on ne peut pas dire que le synopsis soit engageant. J'ai eu envie de le voir à cause de la bande annonce, qui me laissait entrevoir un bon divertissement, genre péplum des années 60 et 70. Le genre de films qu'on voit sans vraiment y penser : très beaux, mais relativement creux.
Car l'histoire que nous compte Aménábar est très forte, tant sur le plan intimiste (relations interpersonnelles entre les différents protagonistes que nous suivont) que dans celui plus global de la situation politique et religieuse où se trouve Alexandrie.
On arrive à ressentir, à comprendre par la capture des regards, des gestes, de petites choses "de rien", ses histoires d'amour à sens unique. De ses hommes qui aiment cette femme, Hypatie, qui n'en a que pour la science et la connaissance.
Ici, les histoires personnelles ne prennent pas le pas sur l'Histoire, ni l'inverse. Les deux cohabitent en harmonie pour nous faire vibrer.
Si vous voulez allez le voir, je vous déconseille de lire la suite ;-)
Mais justement, parlons un peu du contexte historique, qui met sur le tapis un sujet dont on a que trop l'occasion de parler en ce moment : celui du fanatisme religieux au service de l'ambition démesurée de certains hommes, qui se servent de leurs croyances comme excuses pour assouvir leur soif de pouvoir. Ici, c'est le christianisme sur lequel on tape (ça change un peu, on va dire ;-) ) ce film dénonce de fait toutes les utilisations perverties des excuses religieuses (voir plus bas un passage sur la place de la femme, hallucinant). Quand on sort de la salle, on se rend compte que quelque soit la religion, elle n'est finalement qu'un prétexte de plus pour dominer son prochain d'une façon ou d'une autre, de sa propre volonté.
Comment peut-on oeuvrer pour un "dieu" en tuant, massacrant et punissant ceux qui ne vont pas dans le sens de leurs croyances ?
Comment, en toute bonne foi (ahem, non pas de mauvais jeu de mots), peut-on justifier ces actes au nom de la religion, qui, normalement, prône la paix et le respect du prochain ?
Agora fait ressortir ses contradictions et nous force à réfléchir sur le sujet. Peut être aussi est-ce pour cela que nous n'en avons que peu entendu parler, que ce soit à la télévision ou dans les journaux. Certains pays sont même frileux quant à prévoir une date de sortie (je pense à la Belgique qui semble hésiter à le programmer).
Mais ce n'est pas le seul sujet du film, c'est aussi un pamphlet féministe. Attention, le féminisme, à l'origine, n'est pas une revendication sur la supériorité des femmes sur les hommes mais juste une doctrine qui veut que les femmes aient les mêmes droits que les hommes, une place égale à la leur dans la société.
De nos jours, on a souvent l'impression que ce terme est galvaudé et presque perçu comme une insulte. Si on se dit féministe alors on nous jette à la figure que si c'est ainsi, plus besoin de galanterie ou de romantisme... comme si cela avait quelque chose à voir.
Et voilà Hypatie qui n'est jamais qu'un exemple du génie étouffé par la peur et l'orgeuil des hommes. On pourrait croire son propos exagéré, mais même pas, compte tenu qu'à quelques détails près, la fin est tragique pour cette femme dont la seule erreur aura de n'avoir pas voulu se soumettre à la volonté des hommes.
Ainsi, un passage de la bible lu par Cyrille d'Alexandrie, l'êveque de la ville, afin de justifier ce qui arrivera au final à Hypatie :
1ere épître à Timotée, chapitre 2 :
9. Je veux aussi que les femmes, vêtues d’une manière décente, avec pudeur et modestie, ne se parent ni de tresses, ni d’or, ni de perles, ni d’habits somptueux,
10. mais qu’elles se parent de bonnes œuvres, comme il convient à des femmes qui font profession de servir Dieu.
11. Que la femme écoute l’instruction en silence, avec une entière soumission.
12. Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de prendre de l’autorité sur l’homme ; mais elle doit demeurer dans le silence.
13. Car Adam a été formé le premier, Ève ensuite ;
14. et ce n’est pas Adam qui a été séduit, c’est la femme qui, séduite, s’est rendue coupable de transgression.
15. Elle sera néanmoins sauvée en devenant mère, si elle persévère avec modestie dans la foi, dans la charité, et dans la sainteté.
Car combien de femmes ne sont-elles pas encore lapidées de nos jour pour oser vouloir leur libre arbitre et ne pas être d'accord avec les dogmes de leur famille ?
Combien de fois doivent-elles se taire parce qu'elles sont supposées être moins intelligentes que les hommes ?
Remarques qu'on m'a déjà faites, du style qu'une femme ne pouvait être informaticienne parce que son cerveau n'était pas fait pour (sic !)
Agora remet les pendules à l'heure en mettant en avant le fait que le génie existe aussi chez les femmes. Et même si le cheminement de pensée d'Hypatie sur le système solaire peut sembler ridicule aujourd'hui, il faut replacer les choses dans leurs contextes et se rappeler qu'à l'époque, le cercle était la perfection. Sortir de cette "idée reçue" était révolutionnaire.
Et ce n'est pas pour rien qu'il fallut attendre 11 siècles pour qu'une autre personne fasse référence à l'héliocentrisme (Johannes Kepler et Coppernic un peu avant lui).
Il est bien triste de n'avoir pas plus d'informations sur la vie de cette femme, en tout cas, cela nous donne peut être un aperçu de ce qu'on a "oublié" au cours des temps, des découvertes faites par des femmes, précisément à cause de leur statut "féminin".
Je n'ai, malheureusement (et peut être est-ce bien là la raison) point d'autres exemples à donner pour étayer mes dires.
Je m'énerve un peu, j'en ai conscience, mais ce film a touché juste, et dénonce l'absurdité de certains actes au nom de la religion et la lutte pour l'égalité des droits entre hommes et femmes.
Au final un film fort, dur peut être parfois, manichéen sûrement mais dont les propos sont tellement vrais qu'on peut bien le lui pardonner.
Premier très bon film de l'année, ça commence fort.