PEINTURE - Vert-de-gris et pas de l'oie : le national-socialisme n'aimait pas plus la couleur que la liberté. Il qualifia toutes les avant-gardes d'avant et d'après-guerre 14-18 de « dégénérées » puis se mit à en purger les collections dès qu'il mettait la main dessus. Par bonheur, non loin de Düsseldorf, à Wuppertal (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) une partie du fonds du musée local a subsisté. Prévoyant l'orage, le banquier Eduard von der Heydt avait pris soin de déposer ses toiles à l'abri, en Suisse. Soit des travaux de Die Brücke (le Pont), groupe fondé à Dresde en 1905 qui rassemblait Kirchner, Heckel ou Nolde. D'autres du Blaue Reiter (le Cavalier bleu), formation qui avait pris la relève vers 1911 de la Nouvelle association des artistes de Munich, représentée par Kandinsky, Jawlensky, Franz Marc, Macke et Münter. D'autres encore issus de la « nouvelle objectivité » de Beckmann, Dix et Grosz ; des huiles signées d'expressionnistes autrichiens tels Kokoschka ou Oppenheimer, et de fauves français tels Dufy, Braque, Vlaminck et Van Dongen. Pour compléter cette internationale de l'anti-académisme, les von der Heydt avaient aussi acheté le Norvégien Munch, le Français Delaunay ou le Russe von Bechtejeff (fortement influencé par l'Art déco). Présentée à Marmottan en échange des trésors impressionnistes, la cinquantaine de pièces de cette collection révèle une véritable Europe de la création. Saturés d'outre-mer, de vert pétaradant, d'orange vif, de jaune soleil, de violet criard et de rouge pivoine, ou au contraire, dans des gammes si sombres et oppressantes qu'ils en deviennent prophétiques, ces tableaux témoignent d'une époque où des univers nouveaux surgissaient en rafales de tous les grands centres urbains, des deux côtés du Rhin. Leur lien ? Der Sturm, un magazine berlinois fondé par Herwarth Walden, lequel était marié à une poétesse de… Wuppertal.
Critique
Cette collection d'œuvres de fauves et d'expressionnistes, aujourd'hui considérée comme parmi les meilleures d'Allemagne, possède toujours sa charge d'audace. Elle ne vaut donc pas seulement parce qu'elle a échappé à l'autodafé, mais surtout par ses qualités intrinsèques : âpreté de la touche, violence du trait, sens de la caricature mordante. Et, bien sûr, palettes aux couleurs exacerbées, cadrages novateurs et thèmes touchants comme ceux de la femme, de la nature paisible ou au contraire de la ville dangereusement moderne.
Fauves et expressionnistes, de Van Dongen à Otto Dix , Musée Marmottan , 2, rue Louis-Boilly (XVIe). Tél. : 01 42 24 07 02. Horaires : tlj. de 11 heures à 18 heures, nocturne le mardi jusqu'à 21 heures. Jusqu'au 20 février. Cat. : Hazan, 29 €.
Cf. aussi:
http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2009/10/29/le-crepuscule-des-peintres-maudits.html
cf. encore:
http://www.lemonde.fr/culture/article/2009/12/31/agressive-ou-exaltee-la-couleur-des-peintres-allemands_1286309_3246.html#ens_id=1286364