COMMENTAIRE DE DOM GUERANGER
ET SEQUENCES PROPRES A CETTE FETE
Le quarantième jour de la jeune Mère étant arrivé, selon la Loi du Seigneur, Marie, cette Vierge, présenta au Temple, sur ses bras sacrés, le saint Enfant Jésus, Fils unique de la majesté du Père.
L'heureuse Mère portait sur ses chastes épaules un Dieu couvert du voile de la chair ; ses lèvres avaient imprimé de doux baisers sur le visage de ce Dieu, homme véritable, par l'ordre duquel tout fut créé.
Les parents portèrent deux blanches et tendres colombes, au plumage pur comme le lait ; ils offrirent pour lui au Temple deux tourterelles ; elles furent consumées dans un sacrifice, comme le prescrivait la Loi.
Un Prêtre de Dieu, homme humble et doux, était dans la ville, un vieillard vénérable, l'heureux Siméon ; rempli de l'Esprit-Saint aux influences célestes, il arrive dans la sainte Maison, poussé par un mouvement divin.
Car dès longtemps l'Esprit-Saint lui avait répondu que la puissance de la mort ne viendrait pas le séparer de son corps qu'il n'eût vu, de son vivant, le Christ du Seigneur, envoyé par le Père du haut des cieux.
Il prit donc l'Enfant dans ses bras, il rendit grâces au Père céleste : pressant sur sa poitrine ce nouveau-né, il bénit le Seigneur ; dans le transport de son amour, au milieu des douceurs dont son cœur était inondé, il s'exprima ainsi à haute voix :
« Laissez maintenant, Seigneur, aller en paix votre serviteur ; car j'ai pu voir de mes yeux le Sauveur que vous envoyez, Celui que votre suprême bonté a préparé à la face de tous les peuples.
« Il est la Lumière qui brille aux yeux des nations, la gloire du peuple d'Israël ; il est placé pour être la pierre sur laquelle plusieurs se heurteront à leur ruine ; pour être le salut de ceux qui sont la fidèle race de Jacob, au jour où les secrets des cœurs se révéleront.
« Mais un glaive, ô sainte Mère, transpercera ton âme ». Et Marie conservait dans son cœur de si hauts mystères, et, fidèle à croire les oracles célestes, elle repassait constamment ces paroles en elle-même.
Gloire au Père de Jésus, dans sa majesté souveraine ; gloire à toi, Fils unique du Père, Dieu, puissance, vertu, plus haut que les cieux ; au saint Paraclet, louange infinie, honneur et empire à jamais ! Amen.
SEQUENCE
Ce peuple n'a qu'une voix pour te célébrer, ô Marie ! Tous ces cœurs pieux te vénèrent.
De l'illustre Abraham tu es la fille auguste, issue de la race royale de David.
Très sainte dans ton corps, très chaste dans ta vie, la plus belle de toutes, Vierge des vierges.
Mère et Vierge glorieuse, réjouis-toi : docile à l'oracle de l'Archange Gabriel, toujours intacte tu as enfanté un Fils ;
Un Fils dont le sang très sacré purifie la race perdue tout entière, comme Dieu l'a promis à Abraham.
C'est toi, ô Marie, que figure la Verge d'Aaron desséchée, puis tout à coup ornée d'une belle fleur ; il est la fleur, ce Fils que tu as enfanté contre les lois de la nature.
Tu es la Porte toujours fermée que célèbre la voix d'Ezéchiel : tu n'es accessible qu'à Dieu seul, ô Marie !
Mais, aujourd'hui, voulant nous donner un exemple digne de la mère des vertus, tu t'es présentée pour l'expiation imposée aux mères que leur enfantement avait souillées.
Tu portas au Temple, pour être purifié avec toi, le Dieu-Homme dont la naissance a ajouté à ta pureté, ô Mère immaculée !
Tressaille, ô Marie ! car il te sourit l’enfant, Celui qui seul donne à tous les êtres de se réjouir et d'exister.
Donc, nous qui célébrons la fête du Christ, Enfant pour nous, et de Marie sa tendre Mère,
Si notre faiblesse ne nous permet pas d'atteindre à une si profonde humilité d'un Dieu, que du moins sa Mère soit notre modèle.
Louange au Père de gloire, qui, révélant son Fils aux Païens et à son peuple, daigne nous associer à Israël.
Louange à son Fils, qui, nous réconciliant au Père par son sang, nous associe aux habitants des cieux.
Louange aussi à l'Esprit-Saint à jamais.
Amen.
SEQUENCE
L'admirable Prose que nous donnons ci-après est d'Adam de Saint-Victor. Elle était demeurée inédite jusqu'à la publication qu'en a faite M. Léon Gautier, dans sa précieuse édition des œuvres poétiques de notre grand lyrique. Cette Séquence est cependant une des plus belles de son auteur, et l'un des plus gracieux hommages que le moyen âge ait offerts à la Vierge-Mère.
Ornons le temple intérieur ; dans un cœur nouveau, renouvelons la joie nouvelle du saint vieillard, qui, prenant sur ses bras l'Enfant divin, satisfait enfin les désirs qui le firent soupirer tant d'années.
Il est l'étendard qui ralliera les peuples, cet Enfant dont la présence illumine le Temple, inspire de si beaux cantiques, émeut les cœurs d'un si noble transport; aujourd'hui c'est un enfant que l'on présente ; plus tard, sur la Croix , ce sera un homme offert comme hostie du péché.
Là le Sauveur, ici Marie : saint Enfant, sainte Mère, quels objets d'allégresse mais portons en nous avec amour l'œuvre de lumière que représentent nos cierges allumés.
Le Verbe du Père est la lumière, la chair formée par la Vierge est la cire ; le cierge étincelant est le Christ lui-même ; c'est lui qui éclaire nos cœurs de la vraie sagesse ; par sa grâce, celui qui était le jouet de l'erreur et du vice s'élance dans le chemin de la vertu.
Celui qui par l'amour tient le Christ dans ses bras, porte vraiment le flambeau de cire allumé, et remplit pleinement le rite de la fête ; de même que le vieillard dont le cœur portait déjà le Verbe du Père, serra dans ses bras ce même Verbe fait chair que lui confiait l'auguste Mère.
Mère d'un tel Fils, réjouis-toi ; pure au-dedans, chaste au dehors, sans tache ni ride ; femme que son Bien-Aimé a choisie d'avance, que l'amour d'un Dieu a chérie avant les siècles.
A qui contemple ta beauté, toute autre beauté n'est que ténèbres et difformité qui repousse ; à qui goûte ta saveur délicieuse, toute autre saveur n'est qu'amertume et objet de dégoût.
A qui respire tes parfums, toute autre senteur est nulle ou désagréable ; en celui qui cultive ton amour, tout autre amour s'efface, ou n'obtient plus que le second rang.
De la mer brillante Etoile, honneur éternel de toutes les mères, ô Mère véritable de la Vérité, de la Voie, de la Vie, de l'Amour, remède de ce monde languissant, canal de ce vin délicieux qui est la source de vie dont tous doivent éprouver la soif ; dont le breuvage est doux à celui qui est sain comme à celui qui est malade : rends la force et la santé à celui qui défaille.
Fontaine scellée, verse tes ruisseaux de sainteté ; fontaine des jardins spirituels, arrose de tes eaux nos âmes desséchées.
Fontaine abondante, inonde-nous, lave nos cœurs coupables. Fontaine limpide, source toujours pure, daigne purifier des souillures du monde, par ta pureté, le cœur de ton peuple. Amen.
IN HYPAPANTE DOMINI
Andrea Mantegna
L'Eglise Grecque vient à son tour nous prêter ses accents mélodieux, dans les strophes suivantes que nous empruntons à ses Menées.
Aujourd'hui Siméon reçoit dans ses bras le Seigneur de gloire que Moïse, sous la nuée, contempla jadis sur le Sinaï visible, où il lui donna la Loi. C'est le Seigneur qui parle dans les Prophètes, l'auteur de la Loi, c'est lui qu'annonça David, c'est le Dieu terrible ; et c'est aussi Celui qui possède une grande et très riche miséricorde.
O trésor des siècles, vie universelle ! toi qui autrefois as gravé la Loi sur des tables au Sinaï, tu t'es fait enfant, tu t'es placé sous la Loi pour nous arracher tous à l'antique servitude de cette Loi ; gloire à ta miséricorde, ô Sauveur ! gloire à ton règne : gloire à ton divin conseil, ô seul ami des hommes !
Marie, Mère de Dieu, pure de tout commerce humain, porte dans ses bras Celui qui est assis sur les Chérubins comme sur un char, et qui est célébré dans les cantiques des Séraphins, Celui qui a pris chair en elle, le législateur qui accomplit le précepte de la Loi ; elle le remet aux mains du prêtre vénérable par son grand âge. Siméon, portant ainsi la Vie, implorait la grâce de ne plus vivre : « Seigneur, disait-il, laisse-moi partir maintenant ; laisse-moi annoncer à Adam que j'ai vu, sous les traits d'un enfant, le Dieu immuable, qui est avant les siècles, le Sauveur du monde ».
Prosterné, et suivant en esprit les pas de la Vierge et Mère de Dieu, le vieillard disait : « C'est un feu que tu portes, ô très pure ! Tu soutiens sur tes bras tremblants le Dieu de la lumière sans couchant, le Seigneur de la paix ».
« Isaïe est purifié par le Séraphin qui touche ses lèvres d'un charbon de feu, disait le vieillard à la Mère de Dieu ; mais toi, en me donnant de tes mains, comme d'un instrument, ce feu, tu m'embrases par Celui que tu portes, et qui est le Seigneur de la lumière éternelle et de la paix ».
Hommes de bonne volonté, courons à la Mère de Dieu pour voir son Fils qu'elle conduit vers Siméon. C'est Celui que les Esprits célestes, dans leur étonnement, contemplent du haut du ciel, disant : « Nous voyons en ce moment des choses merveilleuses qu'on n'eût pu croire, et qu'on ne saurait comprendre. Celui qui autrefois forma Adam est porté comme un enfant ; Celui qui ne connaît pas l'espace est déposé sur les bras d'un vieillard ; Celui qui habite au sein ineffable du Père daigne connaître les limites dans la chair, lui qui n'en connaît pas dans sa divinité : il est l'unique ami des hommes ».
O Emmanuel ! en ce jour où vous faites votre entrée dans le Temple de votre Majesté, porté sur les bras de Marie, votre ineffable Mère, recevez l'hommage de nos adorations et de notre reconnaissance. C'est afin de vous offrir pour nous que vous venez dans le Temple ; c'est comme prélude de notre rachat, que vous daignez payer la rançon du premier-né ;
C'est pour abolir bientôt les sacrifices imparfaits, que vous venez offrir un sacrifice légal. Aujourd'hui vous paraissez dans cette ville qui doit être un jour le terme de votre course, et le lieu de votre immolation. Le mystère de notre salut a fait un pas ; car il ne vous a pas suffi de naître pour nous ; votre amour nous réserve pour l'avenir un plus éclatant témoignage.
Consolation d'Israël, vous sur qui les Anges aiment tant à arrêter leurs regards, vous entrez dans le Temple ; et les cœurs qui vous attendaient s'ouvrent et s'élèvent vers vous. Oh ! qui nous donnera une part de l'amour que ressentit le vieillard, lorsqu'il vous tint dans ses bras et vous serra contre son cœur ? Il ne demandait qu'à vous voir, ô divin Enfant, objet de tant de désirs ardents, et il était heureux de mourir. Après vous avoir vu un seul instant, il s'endormait délicieusement dans la paix. Quel sera donc le bonheur de vous posséder éternellement, si des moments si courts ont suffi à combler l'attente d'une vie entière ! Mais, ô Sauveur de nos âmes, si le vieillard est au comble de ses vœux pour vous avoir vu seulement une fois, dans cette offrande que vous daignez faire de vous-même pour nous au Temple ; quels doivent être nos sentiments, à nous qui avons vu la consommation de votre sacrifice ! Le jour viendra, ô Emmanuel, où, pour nous servir des expressions de votre dévot serviteur Bernard, vous serez offert non plus dans le Temple et sur les bras de Siméon, mais hors la ville, et sur les bras de la croix. Alors, on n'offrira point pour vous un sang étranger; mais vous-même offrirez votre propre sang. Aujourd'hui a lieu le sacrifice du matin : alors s'offrira le sacrifice du soir.
Aujourd'hui vous êtes à l'âge de l'enfance ; alors vous aurez la plénitude de l'âge d'homme ; et, nous ayant aimés dès le commencement, vous nous aimerez jusqu'à la fin.
Que vous rendrons-nous, ô divin Enfant, qui portez déjà, dans cette première offrande pour nous, tout l'amour qui consommera la seconde ? Pouvons-nous faire moins que nous offrir à vous pour jamais, dès ce jour ? Vous vous donnez à nous dans votre Sacrement, avec plus de plénitude que vous ne le fîtes à l'égard de Siméon ; nous vous recevons non plus entre nos bras, mais dans notre cœur. Déliez-nous aussi, ô Emmanuel ; rompez nos chaînes ; donnez-nous la Paix que vous apportez aujourd'hui ; ouvrez-nous, comme au vieillard, une vie nouvelle. Pour imiter vos exemples, et nous unir à vous, nous avons, pendant cette quarantaine, travaillé à établir en nous cette humilité et cette simplicité de l'enfance que vous nous recommandez ; soutenez-nous maintenant dans les développements de notre vie spirituelle, afin que nous croissions comme vous en âge et en sagesse, devant Dieu et devant les hommes.
O la plus pure des vierges et la plus heureuse des mères ! Marie, fille des Rois, que vos pas sont gracieux, que vos démarches sont belles, au moment où vous montez les degrés du Temple, chargée de notre Emmanuel ! que votre cœur maternel est joyeux, et en même temps qu'il est humble, en ce moment où vous allez offrir à l'Eternel son Fils et le vôtre ! A la vue de ces mères d'Israël qui apportent aussi leurs enfants au Seigneur, vous vous réjouissez en songeant que cette nouvelle génération verra de ses yeux le Sauveur que vous lui apportez.
Quelle bénédiction pour ces nouveau-nés d'être offerts avec Jésus ! Quel bonheur pour ces mères d'être purifiées en votre sainte compagnie ! Si le Temple tressaille de voir entrer dans son enceinte le Dieu en l'honneur duquel il est bâti, sa joie est grande aussi de sentir dans ses murs la plus parfaite des créatures, la seule fille d'Eve qui n'ait point connu le péché, la Vierge féconde, la Mère de Dieu.
Mais pendant que vous gardez fidèlement, ô Marie, les secrets de l'Eternel, confondue dans la foule des filles de Juda, le saint vieillard accourt vers vous ; et votre cœur a compris que l'Esprit-Saint lui a tout révélé. Avec quelle émotion vous déposez pour un moment entre ses bras le Dieu qui porte la nature entière, et qui veut bien être la consolation d'Israël ! Avec quelle grâce vous accueillez la pieuse Anne ! Peut-être, dans vos jeunes années, avez-vous reçu ses soins, dans cette demeure sacrée qui vous revoit aujourd'hui, Vierge encore et cependant Mère du Messie. Les paroles des deux vieillards qui exaltent la fidélité du Seigneur à ses promesses, la grandeur de Celui qui est né de vous, la Lumière qui va se répandre par ce divin Soleil sur toutes les nations, font tressaillir délicieusement votre cœur. Le bonheur d'entendre glorifier le Dieu que vous appelez votre Fils, et qui l'est en effet, vous émeut de joie et de reconnaissance ; mais, ô Marie, quelles paroles a prononcées le vieillard, en vous rendant votre Fils ! quel froid subit et terrible vient tout à coup glacer votre cœur ! La lame du glaive l'a traversé tout entier. Cet Enfant que vos yeux contemplaient avec une joie si douce, vous ne le verrez plus qu'à travers des larmes. Il sera en butte à la contradiction, et les blessures qu'il recevra transperceront votre âme. O Marie ! ce sang des victimes qui inonde le Temple cessera un jour de couler ; mais il faut qu'il soit remplacé par le sang de l'Enfant que vous tenez entre vos bras.
Nous sommes pécheurs, ô Mère naguère si heureuse, et maintenant si désolée ! Ce sont nos péchés qui ont ainsi tout d'un coup changé votre allégresse en douleur. Pardonnez-nous, ô Mère ! laissez-nous vous accompagner à la descente des degrés du Temple. Nous savons que vous ne nous maudissez pas ; nous savons que vous nous aimez, car votre Fils nous aime. Oh ! aimez-nous toujours, Marie ! intercédez pour nous auprès de l'Emmanuel. Obtenez-nous de conserver les fruits de cette précieuse quarantaine. Les grâces de votre divin Enfant nous ont attirés vers lui ; nous nous sommes permis d'approcher de son berceau ; votre sourire maternel nous y invitait. Faites, ô Marie, que nous ne quittions plus cet Enfant qui bientôt sera un homme ; que nous soyons dociles à ce Docteur de nos âmes, attachés, comme de vrais disciples, à ce Maître si plein d'amour, fidèles à le suivre partout comme vous, jusqu'au pied de cette croix qui vous apparaît aujourd'hui.