L'autre jour (samedi pour être précise), j'ai eu une envie folle de balancer mon piano à travers la pièce. Clair que si j'apprenais la trompette, ce serait plus aisé de faire valser l'instrument....
Pour éviter le tour de rein, et passque la garantie ne garantirait rien, du coup, je me suis retiendue.
Mais il m'a saoulée comme jamais, mon piano.
Enfin plutôt ma partition. Ça me fait penser que j'aurais pu jeter ma partition au travers de la pièce. Mais ça aurait été pire, car une petite feuille A4, vous avez beau la jeter de toutes vos forces vers le plus loin possible, elle volette lamentablement à dix centimètres de son point de départ, vous narguant de son regard goguenard. Si, une partition, c'est fait pour se moquer de l'apprentie-pianiste qui s'en sort pas, c'est prouvé. Et ça, c'est horripilant à souhait.
Bref, j'ai rien jeté à travers la pièce, mais l'intention y était. C'est l'essentiel.
Et j'ai réfléchi. Oui, parfois, j'en suis capable, je sais que ça vous étonne.
Donc j'ai réfléchi, et j'ai compris.
Et j'ai une chose à vous dire, à vous qui avez inventé « l'écriture de la musique » : vous êtes des sadiques.
J'ai tenté d'imager le supplice que je vis, histoire que vous compreniez mieux, que vous soyez solidaires et, qui sait, que vous m'apportiez une solution miracle, on peut rêver.
Donc.
Prenez un enfant de six ans. Il n'a jamais lu de sa vie, mais l'apprentissage va commencer. En plus de lui apprendre à déchiffrer les lettres, une par une, soit 26 (enfin j'espère), et à les prononcer, imaginez que vous décidiez (oui, c'est vous le prof) de lui apprendre en même temps à dactylographier. Non seulement apprendre à lire, mais également à reconnaître la lettre sur le clavier, et à la dactylographier illico presto. En aveugle bien sûr, donc sans regarder le clavier, cela va de soi.
Vous comprendre combien ça être compliqué ?
Et encore, l'enfant de six ans, il est au top de ses capacités d'apprentissage.
Pas comme une Anaïs de... pffff déjà autant d'années oui, au corps fatigué par la vie, à la cervelle trouée par les épreuves et à l'œil rendu vitreux par des années d'ordinateur.
Donc moi, comme cet enfant de six ans, je dois regarder la partition, reconnaître la note (et non, y'a pas que sept notes, y'en a 88, comme le nombre de blanches du clavier, sans compter les noires, soit les bémol et les dièse, qui finalement sont des notes à part, à apprendre en plus, fichtre), savoir où elle (la note, vous suivre ?) se trouve sur le clavier et pousser dessus avec un doigt motivé, doigt qui change en fonction des partitions et des humeurs de sadiques compositeurs.
L'enfant a donc un avantage sur moi, outre son âge : à chaque lettre correspond une touche et donc un doigt. Touche qui ne changera jamais jamais jamais. Pour le piano, cela change tout le temps, en fonction du placement de doigts (placement en do, placement en ré, placement en position du lotus pour éviter la crise de nerfs, placement à plat pour baffer le professeur...).
L'enfant a finalement encore un avantage, maintenant que j'y pense, outre son âge et le placement facile des doigts : il n'a pas à respecter un rythme lorsqu'il dactylographie, seul le résultat compte. Moi, je dois respecter les noir(es) et les blaaaaan-cheeees.
Depuis septembre donc, je m'acharne à apprendre le fonctionnement de cet engin de malheur, j'ai nommé mon petit piano adoré, alias Canada Dry (ça ressemble à un piano, ça sonne comme un piano, le toucher est celui d'un piano, mais c'est pas un VRAI piano - c'est que de l'électrique), que je pensais aussi simple qu'un clavier de dactylo. Ben oui quoi, on lit, on tape, et l'affaire est dans le sac, ou plutôt la mélodie est dans l'air.
Que nenni.
Depuis septembre, j'essaie de retenir dix notes sur mon clavier, correspondant à mes dix doigts. Le si et le ré c'est l'index, on répète après moi, le si et le ré c'est l'index. Le mi se situe là sur la portée, et c'est le troisième doigt, le troisième doigt, retiens bien ça...
Semaine après semaine, je répète, je répète et je répète.
Et puis (j'aurais dû m'en douter, vu qu'il y a 88 touches), patatras, tout change. Et vas-y que je te fasse déplacer la main droite à droite, puis à gauche, et vas-y que je te mette des dièses et des bémols partout partout partout, et vas-y que je te fasse faire le bourdon, là-bas au loin, et vas-y que je te fasse écarter les doigts pire qu'une torture nommée écartèlement...
Du sadisme que cet apprentissage du piano.
Et hier donc, j'ai tenté de répéter mon nouveau morceau.
Facile comme tout. Tu changes de position à droite, tu changes à gauche, tu insères des bémols et puis tu fais quatre notes à la fois, deux à droite, deux à gauche, et rapido presto, non legato, ça va aller ?
Nan, ça va pas aller.
Je reconnais même pas les notes, je sais même pas où sont placés mes doigts, je sais même pas quel doigt correspond à quelle note, j'arrive pas à tenir le rythme, j'ai des crampes à droite et les doigts moites à gauche.
Donc ça va pas aller.
D'ailleurs comment voulez-vous que ça aille, il n'y a aucune logique. Comment, en regardant une partition indéchiffrable avec les doigts au-dessus de 88 touches, savoir où jouer et comment jouer, quand bouger, où poser son doigt, et son autre doigt et les huit autres ? Aucune logique je vous dis. Alors, comment apprendre un truc qui me semble impossible à apprendre ?
Oui, bon, je sais, des milliards (enfin, j'exagère, des millions) de gens jouent du piano, donc doit y avoir moyen...
Me faire greffer 78 doigts, peut-être ?
Alors, je le jette à travers la pièce, mon piano ?
Bon, je vous laisse, je vais répéter, j'ai cours demain. Autre idée : je devrais peut-être jeter mon prof à travers la pièce, ça me soulagerait un bref instant...
(Photo de circonstance, j'en ignore l'auteur, s'il passe par ici, qu'il se manifeste, je mettrai un lien).