En souvenir de mi abuelita
Hommage et contre-coup
Actuellement, je subis le contre-coup du décès ma grand-mère lundi matin en Espagne. On l’enterre aujourd’hui. J’ai reçu peu de nouvelles de ma famille trop affairée par l’organisation des obsèques. Généralement, je me plais à penser que le manque d’argent n’empêche pas mon bonheur. Des moments comme celui-ci, ou j’aurai voulu faire un dernier adieu, l’absence de fric m’attriste. Tant pis. Je rends hommage à ma manière. Mi abuelita contrainte par la guerre, par le franquisme, par le besoin qui a envoyé tous ses enfants dans l’immigration ce qui l’a privée de petits-enfants hormis le temps de quelque semaines de vacances scolaires par an, n’a jamais eu l’existence qu’elle aurait souhaité. Elle s’en est rarement plaint.
Depuis lundi je vis normalement. Presque. En réalité, je vis avec plus d’envie de vivre. En me moquant davantage des culs bénis et des qu’en dira-t-on. La vie me parait trop courte pour me l’empoisonner avec la morale des autres. Lundi soir on m’a invitée au restaurant. J’y suis allée maquillée et joliment habillée. Dans n’importe quelle circonstance mi abuelita, tant qu’elle possédait ses facultés mentales, n’est JAMAIS sortie dans la rue autrement que fardée et vétue de ses plus beaux atours. Je dis bien JAMAIS dans les à peu près 80 ans de sa vie d’adulte. Ainsi était ma grand-maman. Débordante d’une féminité d’un autre temps, raison pour laquelle je l’admirais. J’ai mangé une grosse entrecôte. Depuis deux dizaines d’années je ne m’étais pas permis un tel morceau de viande. J’ai ri. Imaginé, mis en place des farces. Déconné. Me suis même amusée dans la neige, une grosse couche de poudreuse comme j’aime, avec la personne qui a payé l’addition. Puis j’ai occupé ma nuit. Toute ma nuit jusqu’à cinq heures du matin. Vivre! Vivre pendant que je peux!
Ai-je versé des larmes? Oui, j’ai versé des larmes. J’en verse encore. Rendront-elles la vie à une morte? Redonneront-elles à ma grand-mère le bonheur que la guerre, la famine, le désespoir, l’emprisonnement des proches pour divergences politiques, le franquisme lui ont volé? Non.
Vivre, être soi, reste encore le seul hommage qu’on puisse rendre aux morts.
Vivre en gardant bien au chaud, dans nos souvenirs. Tous les morts que j’ai aimé de leur vivant continuent de vivre en moi. A travers moi.
Pour mi abuelita, née à Malaga mais qui dès l’âge de quatre ans a vécu à Madrid jusqu’à ce que ses enfants la rapprochent d’eux, du côté d’Alicante, et qui se considérait comme une madrilène pure souche, j’ai trouvé un “chotis de lo mas castizo” qu’elle connaissait bien. Le chotis est le chant et la danse folklorique de Madrid. La musique traditionnelle qui depuis la moitié du 19ème siècle accompagne les jours de fête. Ma grand-mère, comme la plupart des femmes madrilènes jeunes filles dans les années 30, avait le même genre d’attitude, de coiffure et de maquillage -le blush en moins et la paupière davantage dans les bleus que dans le noir- que la célébrissime “cupletitista” Olga Maria Ramos que l’on perçoit par moments sur la vidéo. Pour mon cousin, mes cousines et moi, notre grand-mère était la plus belle abuelita du monde.
Madrid, Madrid, Madrid, composée par le célèbre chanteur compositeur mexicain Agustin Lara, est sans aucun la chanson la plus connue du répertoire des chotis. Elle est ici interprétée par Olga Maria Ramos.