Blue est un garçon qui vient de perdre son père d’un arrêt cardiaque. La psychologue scolaire demande alors à l’enfant d’écrire ce qu’il ressent face à ce deuil. Rien ne sort, ni par la bouche ni par la main. Blue est dans une famille à la sensibilité sans faille. Ses parents l’aident, le soutiennent, lui apportent réconfort et amour. La mère, restée seule, est toujours aussi présente et attentionnée.
Mais les mots ne viennent pas pour décrire cette horreur, cette « p. d’horreur ». Un jour, Blue se met à écrire une histoire (quelques morceaux présents avec l’orthographe et la grammaire d’origine). Pas de celles qui n’ont aucun lien avec la réalité, trop mièvres : « Moi, ce que je voulais, c’était du sang, des tripes et de l’aventure, et c’est ce que j’avais imaginé. » Le sauvage nait de sa plume, un enfant vivant dans les bois, de rapines, de liberté, de meurtres. Et grâce à cette histoire qui prend vie, Blue exprime son agressivité, sa haine, son envie d’être ailleurs.
C’est aussi un livre sur l’agressivité des enfants. Agressivité « ordinaire » d’un petit tyran d’école ou agressivité meurtrière, de survie, de haine contre la vie et les hommes. J’ai beaucoup aimé ce regard sur l’agressivité comme une inadaptation, une faiblesse, une jalousie. J’ai aimé cette autre pour ce que l’enfant a en lui sans jamais pouvoir assouvir sa haine, sa violence, pour contrecarrer celle qui vient de la vie, celle qui peut venir des adultes (même si ce n’est pas le sujet du livre).
Le deuil est aussi, bien sûr, au centre du livre. Et avec nuances, nuance des souvenirs, présents et nombreux auxquels on peut se raccrocher, si infimes qu’ils ne seront pas une frustration. Ce deuil de l’entre-deux, d’un enfant, qui a profité de son père mais pas assez pour savoir ce qui aurait pu advenir. Ce travail de deuil, comme une reprise au goût de la vie, aux petits bonheurs. Le sauvage va découvrir la dualité des hommes et l’intérêt de certains. Un bonheur comme de la joie, un pique-nique et de la danse. Le langage a aussi beaucoup de place, avec les poèmes : « Bien sûr, le sauvage n’avait pas de mots, il bredouillait, grondait ou haletait, il ne connaissait rien aux mots. Comment il aurait pu ? Pourtan il commençait à apprendre.»
Et puis enfin ce transfert, cette voix extérieure lors d’une lecture à voix haute, qui permet de dire ce que nous avons au fond de nous. Une offrande à la famille.