"Il me semble qu'on a changé notre boîte aux lettres de place... Non ?"
J'articule péniblement.
Je n'avais pas prévu qu'il ne me réponde pas tout de suite. Il se retourne et me dévisage avant de prononcer le moindre mot. Suspendue à sa réponse, je me justifie, consciente de m'enliser :
"Oui, j'en suis sûre. Elle était au milieu. Tu n'as pas remarqué ? Maintenant elle est tout en haut. Mais tu n'as pas dû faire attention, la plupart du temps c'est moi qui relève le courrier... Ce n'est pas grave mais bon ça fait plusieurs fois, que machinalement, je tente de faire rentrer ma clef dans la mauvaise serrure. Enfin celle d'avant."
Je suis naïve d'avoir imaginé un seul instant qu'il pourrait s'exclamer :
"Mais oui, justement je n'osais pas t'en parler. Je croyais me faire des idées mais bien sûr que notre boîte aux lettres a été déplacée !"
Au lieu de cela il s'est rapproché de moi et me bloque la sortie. Il pose une main sur ma joue ; ce n'est pas vraiment une caresse. Tente-t-il de vérifier ma température ?
"Effectivement, me dit-il, tu es fatiguée. Excuse-moi, tu me l'avais dit mais je ne savais pas que c'était à ce point..."
J'ai encore le choix.
Mais argumenter me mettrait en colère, ou pire me donnerait l'air d'être folle, complètement siphonnée. Admettre que j'ai dû confondre, reviendrait à la même chose.
Alors, dignement, je lui tire la langue et je le pousse pour quitter la cuisine.
Cette nuit, l'histoire de la boîte aux lettres m'a empêchée de dormir. Qui a procédé au changement et pourquoi ? Si ce n'est pour me nuire, pour quelle raison a-t-on pu faire cela ? La voisine qui est à ma place et que je remplace à la sienne avait-elle du mal à atteindre sa serrure ? Et d'abord est-ce bien légal ? Après tout une boîte aux lettres c'est personnel !
J'ai déambulé dans le salon. Allongée sur le canapé j'ai parcouru le plafond du regard, à la recherche d'un nouvel hôte à huit pattes. Je n'en ai pas vu mais suspendu à la tringle à rideaux depuis mi-décembre, le père noël m'a rendu un regard écarquillé.
Illustration : Gérard Dubois