L'expérience de la limite - Christianisme et Ecologie -

Publié le 08 février 2010 par Perceval

Le texte ci-dessous, est composé d'extraits d'une conférence donnée par Eléna LASIDA: économiste, chargée de mission à Justice et Paix, chrétienne donc, qui relève la problématique actuelle inscrite dans le développement durable pour questionner notre christianisme .... Lumineux !

"Le développement durable est une chance pour notre foi chrétienne d’abord parce qu’il renvoie à des questions essentielles de la vie humaine. Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur les conditions matérielles de la vie nous font prendre conscience d’autres dimensions de l’existence qui ont été sous-évaluées dans nos sociétés très industrialisées : la dimension spirituelle de la vie, mais également sa dimension relationnelle....


C’est une chance aussi pour nous chrétiens, accusés d’avoir réagi tardivement face à cette menace majeure qui pèse aujourd’hui sur notre planète, et, plus encore, d’avoir soutenu et cautionné l’exploitation de la nature en raison de l’appel à “ dominer la terre ” selon le Livre de la Genèse. Je pense en effet que cette accusation offre la chance de nous interroger sur notre rapport à la vérité et sur notre manière d’être présents dans le monde. Comme chrétiens, nous nous sentons habités d’une Bonne Nouvelle que nous voudrions transmettre au monde. Mais nous l’avons peut-être trop limitée à une déclaration de principes, ou à une liste de valeurs à défendre, en privilégiant la forme doctrinaire qu’elle a prise au cours de l’histoire. Nous avons aujourd’hui la chance de retrouver le sens dynamique, relationnel, vital de la Bonne Nouvelle, définie plutôt que par une vérité connue d’avance, par une vérité toujours à découvrir à travers et en dialogue avec le monde. Une Bonne Nouvelle qui ne nous appartient pas, que nous ne possédons pas, mais qui se révèle à travers toute parole capable de susciter la vie là où la mort semble l’emporter....


Je crois que nous sommes ici renvoyés au fondement même de la foi chrétienne et de la vie humaine. Nous nous trouvons en effet aujourd’hui face à des limites qui bloquent notre avenir. Or la limite est sans doute l’une des expériences les plus humaines qu’on puisse vivre. Nous sommes tout au long de la vie confrontés à des limites : des difficultés pour réaliser nos projets, des échecs, des pertes de capacités. Face à la limite, nous avons deux attitudes possibles : soit une approche négative qui regarde surtout ce qu’elle empêche, ce qu’elle entrave, ce qu’elle bloque ; soit une approche positive, qui essaye de voir ce qu’elle rend possible, ce qu’elle met en mouvement, ce qu’elle libère. Dans le premier cas, nous vivons la limite par le moins ; dans le deuxième, la limite par le plus....


Face aux limites environnementales auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés, de nombreuses voix s’élèvent en faveur du moins : moins de consommation, moins de production, moins de croissance, moins de mobilité. Mais s’agit-il d’abord de freiner la marche pour pouvoir durer plus longtemps ? Ou ces limites nous donnent-elles aujourd’hui la possibilité de penser nos modes de développement d’une manière radicalement nouvelle ? Si nous focalisons l’attention uniquement sur le moins, c’est-à-dire sur ce que nous avons à réduire et à perdre, cela signifie que nous croyons qu’il y a un seul modèle de développement possible et qu’il s’agit de le ralentir pour le faire durer. Mettre l’accent uniquement sur le moins signifie qu’il n’y a pas d’avenir nouveau devant nous, juste du déjà connu qu’il faut faire durer. Les limites auxquelles nous sommes confrontés nous permettent-elles d’imaginer un avenir différent ? Libèrent-elles des capacités nouvelles ? Nous permettent-elles de dire autrement la vie et ce qui fait vivre ?

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Je crois qu’il existe aujourd’hui une multiplicité d’initiatives liées au développement durable qui révèle les différents plus qu’on pourrait gagner avec un mode de vie différent : moins de rapidité mais plus de relation ; moins de mobilité mais plus d’enracinement ; moins de productivité mais plus de proximité. Ces initiatives multiples disent la vie autrement : à travers l’attente et la surprise plutôt qu’à travers l’immédiateté et le contrôle ; à travers la liberté conçue comme responsabilité partagée plutôt que comme indépendance ; à travers la manière d’être présent et d’habiter l’espace plutôt qu’à travers la mobilité permanente.

Je crois que des mots comme frugalité, sobriété, ascèse ou sacrifice, que nous employons souvent dans le domaine religieux pour dire que l’essentiel de la vie n’est pas dans la consommation ou dans l’accès aux biens, disent encore le moins plutôt que le plus. Comment nommer le plus qui est en jeu, sans pour autant nier le moins ? Car la perte sera bien entendu inévitable : rien de nouveau ne peut naître si on ne lui fait pas de la place. Mais c’est le fait de croire qu’il y a un nouveau possible devant nous, même si nous ne connaissons pas lequel, qui inscrit la perte dans une dynamique positive et créative et fait de la traversée du désert une marche vers la terre promise.


Le développement durable nous invite donc à revisiter notre représentation de l’avenir : comment transformer la menace en promesse, la limite en nouveau possible ? Il nous faut développer pour cela une éthique de la limite. Or l’éthique de la limite résonne très fortement avec l’un des principaux mystères de la foi chrétienne : la résurrection. La résurrection n’est pas simplement la vie après la mort, ou la vie contre la mort, mais plutôt la vie qui traverse la mort, la vie qui se fraie un passage et qui émerge là où l’on ne l’attend pas. Et en ce sens la résurrection renvoie à une expérience profondément humaine, voire la plus humaine qui puisse exister : celle de l’échec qui ouvre au radicalement nouveau, celle de la limite qui libère une capacité nouvelle, celle du vide qui se met à désirer la vie.

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Cette représentation de l’homme comme prédateur a souvent été associée au commandement du Livre de la Genèse de dominer la terre (Gn 1, 28), créant parfois une certaine culpabilité chez les chrétiens en raison des effets néfastes produits par une exploitation exacerbée de la nature. Pourtant, cet appel à dominer la terre s’inscrit bien dans un souci de désacralisation de la nature et de non-confusion entre Dieu et les phénomènes naturels. Il faut prendre ce texte dans son contexte et surtout en liaison avec le deuxième récit de la Création qui invite l’homme à cultiver et garder la terre (Gn 2, 15).

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Mais dans le second récit de la Création, Dieu appelle l’homme pas seulement à garder, au sens de conserver, mais également à cultiver la terre. De ce fait l’homme n’est pas considéré seulement comme gardien mais également comme co-créateur. Il ne s’agit pas seulement de préserver ce qui a été créé, mais également de le faire fructifier. La création n’a pas été achevée, elle a été confiée à l’homme qui devient également responsable de la continuer.

Cette idée de l’homme co-créateur permet de penser une relation entre l’homme et la nature autre que la relation de domination, en l’inscrivant à l’intérieur de l’alliance nouée entre le Créateur et sa création, avec en son centre l’humanité . La notion d’alliance résonne fortement avec la représentation de l’homme co-créateur. L’alliance suppose en effet la co-responsabilité dans un projet commun, l’interdépendance des partenaires, la relation de confiance pour prendre des risques ensemble. La nature a été donnée aux hommes pour devenir ensemble une source de vie

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Troisième et dernière dimension interrogée par le développement durable : notre représentation de la transcendance. Nous vivons dans un monde où les catastrophes naturelles nous confrontent plus que jamais à l’emprise de l’imprévisible ; en même temps, nous disposons plus que jamais des moyens pour le maîtriser, le contrôler et nous sécuriser face aux imprévus. Comment dire Dieu, entre la représentation d’une transcendance qui fait peur et provoque la mort et le déni de toute transcendance ?

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débat: – La co-création ne risque-t-elle pas de conduire à une absence de limite ? La co-création peut-elle autoriser les OGM, les manipulations génétiques ?


Non bien sûr, co-création ne veut pas dire faire n’importe quoi. Il y a des limites. Mais j’ai voulu différencier les notions de co-création et de sauvegarde. La sauvegarde induit l’idée qu’il s’agit uniquement de préserver pour que cela dure. L’enjeu aujourd’hui est plutôt de créer autrement, c’est-à-dire en respectant les équilibres de la nature et les équilibres humains. Il faut des limites, mais ces limites sont à décider ensemble, en concertation.