C'était en septembre 1997, une commande: aller à l'hôtel Juan-Carlos 1er, rue de la Paix, rendez-vous avec Eric Cantona et Jean-Louis Bourdon.
Je débarque donc chargé de sacs, l'un avec le Mamiya RZ et ses accessoires, l'autre avec l'éclairage "Godard" et le sac de pieds et parapluies. Passée l'entrée, je me dirige vers la réception pour me présenter. Je ne sais pourquoi mais je sens monter la pression. Chargé comme cela on devient vite maladroit et comique. Un concierge attentionné, alors que j'ai déjà gravi plusieurs marches de l'escalier, me saisit alors du sac d'éclairage, le plus lourd, moi qui tentais un équilibre précaire, je me retrouve déséquilibré et dispersé sur le tapis. Un peu plus ridicule et stressé encore, je comprends que mon énergie se lasse du clown.
Devant la chambre de mon rendez-vous, je respire à fond et rentre après avoir frappé. Accueil chaleureux, mais chambre petite, rideaux et moquette de couleur verte, l'horreur. Cantona charmant mais directif me dit alors : "Bon, il faut faire vite, j'ai un avion à prendre, je vais à Marseille." Tout cela n'était pas prévu mais Cantona me donne quelques informations: "Je vais voir ma mère."
Vite, d'accord, au point où j'en suis, un flash-parapluie, deux chaises et je commence à photographier Eric Cantona et Jean-Louis Bourdon ensemble, tout en jetant un oeil sur la pendule. Cela avance à une vitesse folle. Je n'ai pas d'idée et eux non plus, les tee-shirts blancs et cette chambre verte en anéantissent toute tentative. Je suis en pilotage automatique. J'essaye un "dos à dos", ça tient mais ne me donne pas pour autant confiance. J'ai besoin d'être en tête à tête, d'accrocher le regard, de ce moment magique de rapide éternité.
C'est maintenant, Cantona est pressé alors il est le premier. Assis en cow-boy, il croise les bras sur le haut de la chaise, il me regarde, calme, sans me mettre la pression mais il regarde aussi sa montre. Je le rassure, je fais le maximum. Il est concentré et son regard me donne confiance. En faisant la mise au point, j'en profite pour respirer profondément. Je suis bien, je ne voudrais pas que cela s'arrête. A part quelques indications, je me tais. Je ne suis pas fan de foot. Une fois fini le rouleau 120 de 10 vues, Cantona regarde à nouveau sa montre, satisfait, et me dit avec son accent : "T'es un prince."
Resté seul avec Jean-Louis Bourdon, je fais un autre rouleau en tentant de modérer son apparente ironie.
C'est une petite histoire mais c'est le jour où je suis devenu un prince, pour trois secondes !
Eric Cantona est au théâtre Marigny dans "Face au paradis"
Un reportage sur culturebox.france3.fr
Un portrait dans liberation.fr
Un portrait dans lemonde.fr