Une ville photogénique, la Grosse Pomme. A qui s’y promène avec un regard fureteur, l’objectif vaticine du global au particulier, de l’anodin au bizarre, de l’anecdotique à l’essentiel dans une errance de chaque instant. Le numérique fait qu’on prend des centaines de clichés au gré des quartiers, au fil des heures. C’est un immeuble devant lequel passe un policier à cheval, c’est une perspective singulière du pont de Brooklyn encombré de cyclistes, c’est encore un mur squatté de graffitis au pied de Wall Street, pour ne citer que quelques…clichés. Monté au sommet de l’Empire State Building, l’éblouissement est tel, devant cette forêt urbaine, que le doigt reste collé au déclencheur, l’œil, rivé au viseur, l’artiste, vissé au zoom qui va chercher le cadrage parfait.
Justement : le cadrage parfait, la photo ultime qu’on mettra, au retour, sur la couverture de l’album. Le photographe y pense sans cesse à ça. Comment trouver une composition unique, insolite, équilibrée, juste ce qu’il faut de décalé, de personnel et qui vous montre, vous, regardant cette ville. L’objectif ultime.
Et justement, par son côté cosmopolite insaisissable, cette ville est une gageure. D’un quartier à l’autre tout change. Quel point commun entre Coney Island, la plage populaire et Central Park, le théâtre bobo ? Quelle unité entre le céleste quartier de Wall Street et l’agitation latino de Little Italy ? Comment rendre compte de cette unique diversité ? De ce cosmopolitisme qu’on ne rencontre qu’ici, à cet endroit unique où tous les immigrés ont afflué ?
Donc, par défaut, on égrènera une série d’instants, d’endroits où se sera glissée l’unicité du regard de par le multiplicité des points de vues et d’événements imprévisibles. Et la photo parfaite ? Elle n’existe tout simplement pas. Mais de son absence frustrante naît un irrépressible désir d’y retourner, savourer, minute par minute, cette Grosse Pomme aux mille saveurs.
(Dédicace à jacques)