Magazine Journal intime

Maîtresse Academy

Publié le 13 novembre 2007 par Mirabelle
Mon cher  Victor,


Cet après-midi, 16 h 20. Nous rentrons du gymnase et j'annonce, avec un plaisir non dissimulé, que pour  les quinze minutes qui nous restent, nous allons chaaaaaanter ! Tu connais, Victor, ma passion pour le chant. Eh bien... Moins que tu ne sembles le penser ! Tu ne m'as , au fond, que très peu parlé de ton expérience de chanteuse amateur  ! C'est vrai. C'est un chapitre de ma vie qui, pourtant, me tient profondément à coeur :  je rêve encore, parfois, de monter sur scène... Quand je ne croule pas sous les fiches de séquence et les corrections de cahiers du jour  ! Bref.

Cet après-midi, donc, j'entreprends  d'apprendre aux élèves le  refrain de la chanson "Rame" d'Alain Souchon, dans le but d'en faire un canon.
Campée devant le tableau, scrutée par vingt-cinq paires d'yeux, je retrouve une sensation qui, je m'en aperçois, m'avait manqué : celle de chanter devant un public. Sauf que le public en question n'est pas une masse noire, à peine éclairée, dont je ne discerne pas les visages, mais ma classe, mes élèves à moi, mes CE2-CM1, que j'aime. Je retrouve tout. Ce trac. Cette boule au ventre. Cette excitation. Vont-il aimer ?

Enfin, je me lance. En les regardant. Je vois des yeux scintiller. Je vois des sourires. J'entends des "oh". Je me sens bien. Ils ont la bouche grande ouverte, le coeur aussi. Quand je me tais, Lorie lève la main :

"Maîtresse, ce n'est pas maîtresse que vous auriez dû faire... C'est la Nouvelle Star !"
. Puis il y a des "oui" murmurés, plein d'admiration. Des sourires jusqu'aux oreilles. Et toujours les étincelles dans les yeux. Ondine, d'un ton suppliant, me demande : "Dites, Maîtresse, vous voulez bien la rechanter ? C'était beau !". J'acquiesce avec un sourire, en précisant que bien sûr ils devront bien m'écouter pour mémoriser la mélodie, puisque nous l'apprendrons. Après tout, mon métier est maîtresse, pas chanteuse. Et même si j'adorerais un jour chanter mes textes, j'aime aussi éveiller chez mes mômes le goût d'apprendre. Ce qui tombe bien puisque c'est ton métier ! Tout à fait !
Quand j'ai terminé de chanter le refrain, Gontrand me gratifie d'un "Maîtresse, qu'est-ce que vous chantez bien !", émis dans un souffle. Je me sens rougir de plaisir. Le mot "Star Ac'" est sur toutes les lèvres... On en revient toujours aux mêmes ! Je me retiens de dire aux gosses ce que je pense de ce programme qui gomme toutes les spécificités artistiques des candidats, et tourne ma langue sept fois avant d'avouer qu'il faut être bien débile pour participer à cette émission. Néanmoins, je souris intérieurement : l'allusion à ce jeu de télé-réalité me rappelle la réflexion d'une gamine de centre aéré qui m'avait dit, alors que, en tant qu'animatrice, j'avais chanté je ne sais plus quel titre à la mode : "Mirabelle, tu chantes trop bien ! On dirait Jenifer !"

Bref. Après quelques onomatopées pour favoriser l'apprentissage, nous parvenons à un résultat à peu près acceptable concernant la mémorisation de la mélodie. Il est 16 h 30. Avant de sortir de classe, alors que je suis, comme à mon habitude, la main sur la clanche, collant la porte, disant au revoir à mes élèves avec mon beau sourire de maîtresse épanouie, Lorie me lance :

"Ah ! Maîtresse ! Maîtresse ! Quand je vais dire à ma maman que ma maîtresse est chanteuse !"

Et la voilà qui sort de la classe en souriant. Ce sourire est tout ce dont j'ai besoin pour terminer ma journée de bonne humeur.

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