Trois gouttes de sang sur la neige: Perceval et Blanchefleur

Publié le 15 février 2010 par Perceval


 Les femmes sont très présentes autour de Perceval. Mais la sexualité de Perceval, reste cachée, taboue. Ici, objet de la rêverie, Blanchefleur, est fantasmée autour d’un récit érotique, mais voilé : images de chasse, et d’oie blessée. Résultat et rencontres manquées, et image trinitaire : qui annonce un ‘autre monde’, autour du temps suspendu … Image du portrait de la femme, qui ouvre sur l’expression métaphorique du désir interdit .


L’image sensuelle crée le désordre dans son esprit, et il devra la remplacer par ‘  la blanche lance, de laquelle goutte le sang ‘


" C'est l'hiver, Le roi Arthur et ses chevaliers viennent de quitter le château de Carlion , la nuit venue, ils s'arrêtent et dresse leur camp dans une prairie près de la forêt. Perceval qui se trouve à proximité regarde un vol d'oie sauvage, l'une d'elle est attaquée par un faucon, blessée elle gît à terre, Perceval est subjugué par la vue du sang sur la neige :





Au matin la neige était bien tombée,
car la contrée était très froide.
Perceval, au petit jour,
S'était levé comme à son habitude,
car il était en quête et en attente
d'aventures et d'exploits chevaleresques.
Il vint droit à la prairie
Gelée et enneigée
où campait l'armée du roi.
Mais avant qu'il arrive aux tentes,
voici venir un vol groupé d'oies sauvages
que la neige avait ébouies.
Il les a vues et entendues,
car elles fuyaient à grand bruit
devant un faucon qui fondait
sur elles d'un seul trait.
Il atteignit à toute vitesse
l'une d'elles, qui s'était détachée des autres
Il l'a heurtée et frappée si fort
Qu'il l'a abattue au sol.
Mais il est trop matin et il repartit
sans plus daigner se joindre ni s'attacher à elle.
Perceval cependant pique des deux,
dans la direction où il avait vu le vol.
L'oie était blessée au col.
Elle saigna trois gouttes de sang,
qui se répandirent sur le blanc.
On eût dit une couleur naturelle.

L'oie n'avait tant de douleur ni de mal
qu'il lui fallût rester à terre.
Le temps qu'il y soit parvenu,
elle s'était déjà envolée.
Quand Perceval vit la neige qui était foulée,
là ou s'était couchée l'oie,
et le sang qui apparaissait autour,
il s'appuya sur sa lance
pour regarder cette ressemblance.
Car le sang et la neige ensemble
sont à la ressemblance de la couleur fraîche
qui est au visage de son amie.
Tout à cette pensée, il s'en oublie lui-même.
Pareille était sur son visage
cette goutte de vermeil, disposée sur le blanc,
à ce qu'étaient ces trois gouttes de sang,
apparues sur la neige blanche.
Il n'était plus que regard.
Il lui apparaissait, tant il y prenait plaisir,
que ce qu'il voyait, c'était la couleur toute nouvelle
du visage de son amie, si belle.


  Chrétien de Troyes, Perceval.