Je viens de quitter le poste en avant de la station Laurier où je poireautais depuis plus d'une heure. Je m'y étais installé à la fermeture des métros en espérant embarquer un retardataire ou quelqu'un qui en sortirait. Peine perdue. Pas de client, pas d'appel, pas de chance.
Il est deux heures du matin et je couvre à peine mes frais de location du taxi et de ce que j'aurai à mettre dans le réservoir. Ce n'est pas la joie, d'autant plus que ce n'est pas la première fois que ça arrive depuis le début de l'année. Frustré, je roule droit devant en n'espérant plus grand-chose de cette nuit pitoyable.
J'arrive au coin de Saint-Laurent et constate qu'à part les quelques taxis qui croissent l'intersection, le boulevard est complètement désert. Pas besoin de faire le tour pour savoir que c'est partout pareil. La Ville dort et je me demande si je ne devrais pas faire de même lorsque je vois deux filles sortir du guichet automatique de l'autre côté de la rue.
L'une d'elles s'avance lentement dans ma direction. C'est une magnifique blonde qui a dû faire tourner bien des têtes ce soir et c'est moi le chanceux qui va la raccompagner chez elle. Je ne croyais pas que les deux mots : Fabreville et Laval puissent sonner aussi bien.
Sur la 15 Nord, j'écoute la blonde se lamenter sur son sort. Sa soirée a été pourrie et de toute évidence, elle n'est pas dans l'ambiance pour la faire durer outre mesure quand elle sera arrivée. Ça ne tarde pas trop. Je me demande si j'ai croisé un seul véhicule jusqu'à son bungalow lavallois.
Je m'engage dans la bretelle pour reprendre l'autoroute quand je vois ce type les quatre fers en l'air qui coure dans ma direction. Je stoppe et lui dit que je ne peux pas l'embarquer à moins qu'il ne veuille retourner en ville. Son : « M'a t'donner 40 piasses heul gros» me fait oublier le livre des règlements. De toute façon, il n'y a pas de taxi à des kilomètres à la ronde et il ne fait pas très chaud. Je ne peux pas en dire autant du gars qui grimpe à bord du taxi. Il a l'air d'avoir commencé sa soirée de bonne heure. J'arrive à comprendre de peine et de misère où il veut aller pendant qu'il me tend l'argent qu'il m'a promis. Encore là, ça ne tarde pas trop.
Après quelques minutes à me sortir de ce dédale banlieusard, je me retrouve de nouveau sur l'autoroute. En moins d'une heure, j'ai doublé mes avoirs. Assez pour me réconcilier encore une fois avec le métier.