Mercredi des Cendres [II]

Publié le 17 février 2010 par Hermas

LE RITE DES CENDRES AU COURS DES SIECLES

Au début du Christianisme, le rite des Cendres n’était pas associé nécessairement au début du Carême. Certaines Eglises locales l’adoptèrent vers l’an 300, et il fut alors associé au rite d’excommunication temporaire, ou, de renvoi des pécheurs publics de la communauté de ces « fidèles » qui s’étaient rendus coupables de péchés ou de scandales majeurs (apostasie, hérésie, meurtre et adultère – fautes considérées alors comme des péchés capitaux).

Au VIII° siècle environ, cette coutume fut à l’origine, dans certaines églises, d’une cérémonie publique, le rite dit du Mercredi des Cendres. Les pécheurs confessaient alors leurs péchés en privé. Puis on les présentait à l’Evêque, et ils étaient mis publiquement au rang des pénitents. Ils devaient alors se préparer pour recevoir l’absolution donnée par le Pontife le Jeudi Saint. Après l’imposition des mains, et l’imposition des cendres, ils étaient renvoyés de la communauté, comme Adam et Eve l’avaient été du Paradis Terrestre. On leur rappelait, certes, que la mort était la conséquence du péché : « tu, es poussière et tu retourneras en poussière » (Genèse 3, 19). Les pénitents vivaient alors en marge de leur famille et du reste de la communauté des fidèles pendant les quarante jours du Carême. C’est de là que vient l’expression « mettre en quarantaine ».

Ils avaient également revêtu un sac, et, avec les cendres qui les recouvraient, cela permettait de les reconnaître lors des assemblées, ou encore aux portes des églises où ils étaient relégués le plus souvent. On est bien loin de la « pénitence » donnée par le confesseur, de nos jours ! En effet, cette pratique pénitentielle comprenait l’abstinence de viande, d’alcool, de bain ; il était interdit de se faire couper les cheveux, de se raser, de gérer ses affaires ; Dans certains Diocèses, ces pénitences pouvaient durer plusieurs années !

Sans vouloir prêcher un retour à ces pratiques du passé, on doit cependant noter le sens profond du péché et de ses conséquences pour la vie éternelle. Il serait bon de reprendre les pénitences « antiques » de l’Eglise, qui ne remontent pas à plus de 50 ans : le jeûne, le vrai jeûne, l’abstinence de viande, les sacrifices volontaires et les privations que la générosité de chacun et son sens du péché pourraient lui inspirer ! « Si vous ne faites pénitence, nous avertit Jésus, vous périrez tous »… Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !

Au Moyen-Age, ce qui domine c’est la dimension personnelle du péché, plutôt que son caractère public. Et c’est pourquoi les traditions associées au Mercredi des Cendres furent appliquées à tous les fidèles des paroisses, sous des formes différentes. Au XI° siècle, les rites en usage étaient à peu près semblables à ce que nous avons connus au temps de notre jeunesse, avant les années 1970. A présent, on peut le regretter, le prêtre qui impose les cendres peut se servir de deux formules : la formule ancienne biblique qui remonte aux premiers temps de l’humanité : « Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière », qui exprime bien ce qu’elle veut dire. Et l’autre formule, beaucoup plus vague et neutre et qui, à mon avis, est moins « contraignante », et évite de « heurter les fidèles par la pensée de la mort : « Convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Marc 1,15). Pour se convertir, il faut d’abord être conscient de ses faiblesses et de ses limites. La pensée de la mort qui est souvent accompagnée de souffrances me semble beaucoup plus adaptée à faire prendre conscience de notre faiblesses, de nos limites, et nous invite directement à penser à la vie « après la mort ».

Le Mercredi des Cendres marque l’entrée officielle en Carême

Il est tourné vers la fête de Pâque, vers la victoire du Fils de Dieu fait homme sur la mort, sur le péché sur Satan. Il nous montre que, malgré l’intensité de nos fautes et de nos faiblesses, il nous est possible de « renaître d’une manière plus admirable encore » (offertoire de Messe Tridentine). La fête de Pâques est précédée par le Carême qui dure 40 jours et est en relation avec les 40 jours de jeûne, de prière et de pénitence de Jésus au désert, et de sa lutte victorieuse contre le Démon. Les 40 jours du Carême sont aussi à mettre en relation avec les 40 ans passées par les Hébreux, dans le désert, nourris par la manne, « le pain descendu du Ciel », qui les a conduits jusqu’à la Terre Promise

Notre Carême est ainsi une marche vers la Terre Promise, vers la Patrie du Ciel, dont le Christ Ressuscité nous montre le Chemin, lui qui est la Voie, la Vérité et la Vie, soutenus par le Pain Vivant descendu du Ciel, le Corps et le Sang du Christ (Dernière Cène), que nous recevons dans la Sainte Communion, après avoir confessé tous nos péchés avec une bonne Confession. C’est cela le « lavement des pieds » pour nous : c’est le Christ qui nous purifie, pour nous permettre de participer au Banquet des Elus, et d’anticiper dès maintenant sur terre la Vie Bienheureuse du Ciel.

N’oublions pas que, en recevant les cendres bénites sur notre front, nous n’accomplissons pas un geste banal ou magique : il doit être le signe, que nous acceptons en ce jour, la pénitence volontaire que nous sommes résolus à nous imposer avec rigueur pendant toute la durée du Carême pour renaître à une vie nouvelle. C’est donc une lutte de l’esprit contre la chair. C’est ce que souligne dom Guéranger, à propos du Mercredi des Cendres (Année Liturgique).Il écrit :

DON GUERANGER (Année Liturgique, temps de la Septuagésime)

« Dans cette lutte de l'esprit contre la chair, il nous faut être armés, et voici que la sainte Eglise nous convoque dans ses temples, pour nous dresser aux exercices de la milice spirituelle. Déjà saint Paul nous a fait connaître en détail toutes les parties de notre défense : « Que la vérité, nous a-t-il dit, soit votre ceinture, la justice votre cuirasse, la docilité à l'Evangile votre chaussure, la foi votre bouclier, l'espérance du salut le casque qui protégera votre tête» (Eph. VI, 16). Le Prince des Apôtres vient lui-même, qui nous dit : « Le Christ a souffert dans sa chair; armez-vous de cette pensée»( I Petr. IV, 1.). Ces enseignements apostoliques, l'Eglise aujourd'hui nous les rappelle ; mais elle en ajoute un autre non moins éloquent, en nous forçant à remonter jusqu'au jour de la prévarication, qui a rendu nécessaires les combats auxquels nous allons nous livrer, les expiations par lesquelles il nous faut passer.

Deux sortes d'ennemis sont déchaînés contre nous : les passions dans notre cœur, les démons au dehors ; l'orgueil a fait tout ce désordre. L'homme a refusé d'obéir à Dieu ; toutefois, Dieu l'a épargné, mais à la dure condition de subir la mort. Il a dit: « Homme, tu n'es que poussière, et tu rentreras dans la poussière (Gen. III, 19.) ». Oh ! pourquoi avons-nous oublié cet avertissement ? à lui seul il eût suffi pour nous prémunir contre nous-mêmes ; pénétrés de notre néant, nous n'eussions jamais osé enfreindre la loi de Dieu. Si maintenant nous voulons persévérer dans le bien, où la grâce du Seigneur nous a rétablis, humilions-nous ; acceptons la sentence , et ne considérons plus la vie que comme un chemin plus ou moins court qui aboutit au tombeau. A ce point de vue, tout se renouvelle, tout s'éclaire. L'immense bonté de Dieu qui a daigné attacher son amour à des êtres dévoués à la mort, nous apparaît plus admirable encore ; notre insolence et notre ingratitude envers celui que nous avons bravé , durant ces quelques instants de notre existence, nous semble de plus en plus digne de regrets, et la réparation qu'il nous est possible de faire, et que Dieu daigne accepter, plus légitime et plus salutaire.

Tel est le motif qui porta la sainte Eglise, lorsqu'elle jugea à propos, il y a plus de mille ans, d'anticiper de quatre jours le jeûne quadragésimal, à ouvrir cette sainte carrière en marquant avec la cendre le front coupable de ses enfants, et en redisant à chacun les terribles paroles du Seigneur qui nous dévouent à la mort. Mais l'usage de la cendre, comme symbole d'humiliation et de pénitence, est bien antérieur à cette institution, et nous le trouvons déjà pratiqué dans l'ancienne alliance. Job lui-même, au sein de la gentilité, couvrait de cendres sa chair frappée par la main de Dieu, et implorait ainsi miséricorde, il y a quatre mille ans (Job. XVI, 16). Plus tard, le Roi-Prophète, dans l'ardente contrition de son cœur, mêlait la cendre au pain amer qu'il mangeait (Psalm. CI, 10) ; les exemples analogues abondent dans les Livres historiques et dans les Prophètes de l'Ancien Testament. C'est que l'on sentait dès lors le rapport qui existe entre cette poussière d'un être matériel que la flamme a visité, et l'homme pécheur dont le corps doit être réduit en poussière sous le feu de la justice divine. Pour sauver du moins l'âme des traits brûlants de la vengeance céleste, le pécheur courait à la cendre, et reconnaissant sa triste fraternité avec elle, il se sentait plus à couvert de la colère de celui qui résiste aux superbes et veut bien pardonner aux humbles.

Prières pour la Bénédiction des Cendres :

Prions

Dieu tout-puissant et éternel, pardonnez au repentir, soyez propice aux supplications, et daignez envoyer du ciel votre saint Ange pour bénir et sanctifier ces cendres, afin qu'elles deviennent un remède salutaire à ceux qui implorent humblement votre saint Nom, qui, reconnaissant leurs péchés, s'accusent eux-mêmes, déplorent leurs méfaits sous les regards de votre divine clémence, et implorent avec ardeur par leurs supplications votre très douce miséricorde. Daignez faire que par l'invocation de votre très saint Nom, tous ceux sur lesquels ces cendres seront répandues, pour le rachat de leurs péchés, reçoivent la santé du corps et la protection de l'àme. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Prions

O Dieu, qui ne voulez pas notre mort, mais notre pénitence, considérez avec bonté la fragilité de la condition humaine, et daignez bénir dans votre miséricorde ces cendres que nous voulons recevoir sur nos têtes, en signe d'humilité, et pour mériter le pardon ; afin que, reconnaissant que nous ne sommes que cendre, et que nous devons retourner en poussière, pour la punition de notre malice, nous méritions d'obtenir de votre miséricorde le pardon de tous nos péchés, et les récompenses promises aux pénitents. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Prions

Mon Dieu, qui vous laissez fléchir par l'humilité et apaiser par la satisfaction, inclinez à nos prières l'oreille de votre miséricorde, et daignez répandre la grâce de votre bénédiction sur les têtes de vos serviteurs, lorsqu'elles auront été marquées de ces cendres ; remplissez vos fidèles de l'esprit de componction, accordez-leur pleinement les demandes justes qu'ils vous présenteront ; affermissez et conservez en eux les faveurs que vous leur aurez accordées. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Prions

Dieu tout-puissant et éternel, de qui les Ninivites qui firent pénitence sous la cendre et le cilice reçurent le remède et le pardon, daignez accorder à nous qui les imitons dans l'extérieur, d'être comme eux l'objet de votre miséricorde. Par Jésus-Christ Notre Seigneur. Amen.

La cérémonie de l’imposition des Cendres et la Messe se terminent par cette invitation du prêtre et cette prière :

Humiliate capita vestra Deo. | Humiliez vos têtes devant Dieu.

Prions

Regardez, Seigneur, d'un œil favorable ceux qui se prosternent devant votre Majesté ; afin que, rassasiés de votre don divin, ils se sentent toujours nourris par ce secours céleste. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

LE CAREME, LE PECHE, LA CONFESSION

(saint Jean-Marie Vianney)

Pour faire un bon Carême, il est nécessaire d’être conscients que nous sommes des pécheurs. Il est nécessaire de bien savoir quels sont nos péchés, quelles sont les conséquences du péché. Conscients de la destruction qu’opère le péché en nous et dans le monde, au lieu de se laisser aller au désespoir, sachons nous tourner vers Jésus pour qu’il nous pardonne dans le Sacrement de la Confession. Mais pourquoi les chrétiens se confessent-ils si peu, ou, ne se confessent pas du tout ? Je propose à vos réflexions un extrait des paroles du Saint Curé, dans son sermon sur la pénitence, le Mercredi des Cendres précisément :

« Pourquoi est-ce que nous avons tant de répugnance pour la pénitence, et que nous avons si peu de douleur de nos péchés ? Hélas ! c'est que nous ne connaissons ni les outrages que le péché fait à Jésus-Christ, ni les maux qu'il nous prépare pour l'éternité. Nous sommes très convaincus qu'après le péché, il faut nécessairement faire pénitence. Mais voici ce que nous faisons : nous renvoyons tout cela à un temps bien éloigné, comme si nous étions maîtres du temps et des grâces du bon Dieu. Hélas ! qui de nous, étant dans le péché, ne tremblera pas, puisque nous n'avons pas un moment de sûr ? Hélas ! qui de nous ne frémira pas, en pensant qu'il y a une mesure de grâces après laquelle le Bon Dieu n'en accorde plus ? Qui de nous ne frémira pas, en pensant qu'il y a une mesure de miséricorde après quoi c'est fini. Hélas ! qui de nous ne frémira pas, en pensant qu'il y a un certain nombre de péchés après lequel le Bon Dieu abandonne le pécheur à lui-même ? Hélas ! quand la mesure est pleine, il faut qu'elle déborde. Oui, après que le pécheur a rempli tout cela, il faut qu'il soit puni et qu'il tombe en enfer malgré ses larmes et sa douleur... Croyez-vous qu'après vous être roulés, traînés et baignés dans les impuretés et vos plus infâmes passions, croyez-vous qu'après avoir vécu nombre d'années dans le péché malgré tous les remords que votre conscience vous a donnés pour vous faire revenir à Dieu ; croyez-vous qu'après avoir vécu en impies et en libertins, méprisant tout ce que la religion a de plus saint et de plus sacré, vomissant contre elle tout ce que la corruption de votre coeur a pu engendrer ; croyez-vous que, quand vous voudrez dire : Mon Dieu pardonnez-moi, vous aurez tout fait ? que vous n'aurez plus qu'à entrer dans le ciel ? Non, non, ne soyons pas si téméraires, ni si aveugles que d'espérer cela. Hélas ! c'est précisément dans ce moment que s'accomplit cette terrible sentence de Jésus-Christ, qui nous dit : « Vous m'avez méprisé pendant votre vie, vous vous êtes raillés de mes lois, mais maintenant que vous voulez avoir recours à moi, que vous me cherchez, je vous tournerai le dos pour ne pas voir vos malheurs (Jer., XVIII, 17.) ; je me boucherai les oreilles pour ne pas entendre vos cris ; je m'enfuirai loin de vous, crainte de me laisser toucher par vos larmes. »

Hymne du temps de Carême : Parce Domine