Incidences, le nouveau roman de l’écrivain « culte », invraisemblable de part en part, sidère par sa stupidité…
Parce qu’il est toujours triste de voir un écrivain, à certains égards estimable, s’égarer du tout au tout, on hésite à parler d’un livre raté sortant de son atelier. Mais Paul Léautaud le disait : qu’il est toujours intéressant de lire un mauvais livre – il disait une livre « de carton », et c’est le cas d’Incidences, le dernier roman de Philippe Djian, qui voudrait être quelque chose et qui n’en est que la contrefaçon pesante et pénible. Pour tout dire, on finit par rire à la lecture de ce roman qui se voudrait incisif et drôle comme un livre de Philip Roth, tant l’auteur s’empêtre dans des situations plus grotesques les unes que les autres, au fil d’une écriture pataude truffée de clichés et de métaphores à se gondoler.
En deux mots, c’est le portrait d’un imbécile malfaisant, excellent sujet, brossé d’une imbécile façon, qui réduit ledit sujet à rien. Un soir, un prof de littérature nul et vieillissant mais charmeur, Marc de son prénom, cinquante-trois balais, embarque une de ses élèves (cf. La bête qui meurt de Roth) dans sa Fiat 500, l’amène chez lui, la saute et la trouve morte le matin, même « terriblement morte ». Question raisonnable: que faire de ce corps encombrant ?
Sans même se demander de quoi sa partenaire est défuntée, ni ressentir la moindre trace d’émotion ou d’inquiétude pour les « ennuis » qu’il risque d’avoir, Marc, après avoir rassuré sa sœur Marianne, avec laquelle il cohabite et qui a cru entendre des bruits pendant la nuit, transporte la gosse et la jette dans une grotte au risque de se salir. Deux jours plus tard, pas tout à fait sûr de la sûreté de la procédure, Marc retourne à la grotte, où il constate que la morte est restée accrochée à mi hauteur de la crevasse, et qu’il faudrait pousser le corps de l’étudiante, devenu d’un gris violacé, « afin qu’il reprît sa courses vers les ténèbres ». Or, au même moment, quelqu’un fait « hello » à l’ouverture de la grotte, ce quelqu’un n’étant autre que le directeur du département de littérature où Marc enseigne la morale selon John Gardner, Richard sa bête noire qui envie ses succès féminins et rêve lui-même de se faire Marianne, quelle idée n’est-ce pas... À préciser dans la foulée que Marc et Marianne, liés par un lien sadomaso incestueux, ont beaucoup souffert dans leur enfance sous le joug d’une mère monstrueuse, ceci expliquant cela n’est-il pas ? Quant au pompon, c’est que la maman de Barbara (l’étudiante « terriblement morte ») vaguement soucieuse de n’avoir plus de nouvelles de son enfant, en pince grave pour Marc qui lui explique que, dans son atelier d’écriture, ladite jeune fille montrait des dispositions… Au passage, le lecteur aura commencé de relever les exquises tournures du style de Djian, plus que jamais adonné à l’usage de l’imparfait du subjonctif, et très concret dans ses images, du genre : « par instants, le vent grognait comme un chien couvert de puces dans la cheminée » ou, pour expliquer le tabagisme du protagoniste, « Parfois, pour une Winston, il se serait roulé par terre », et encore, poète à ses heures : « Le printemps donnait l’impression d’arriver au grand galop ».
Dans la foulée, on aura compris que Philippe Djian veut faire le procès d’une société sécuritaire où, pour une simple question de permis à points non conforme, un enseignant se trouve jeté à terre et menotté, où Marc le fumeur libertin est en butte à toutes les surveillances risquant de lui coûter son poste, bref où c’est « l’horreur absolue » à laquelle, hélas Ménélas, on ne croit pas une seconde. Dommage.
Dommage, parce que l’auteur de Sotos, de Sainte-Bob, de Frictions et d’Impuretés, ou d’Impardonnables, notamment, n’est pas, et de loin qu’un mauvais écrivain. Dans un certain nombre de romans où il scrute ce qu’on pourrait dire les séquelles humaines de la «dissociété», Djian l’instinctif peut créer des atmosphères et enchaîner des observations réellement pénétrantes, comme s’y est employée aussi une Pascale Kramer à l’approche d’une population sans langage et sans autres moyens de défense que la force. Hélas, nous en sommes loin dans Incidences, dont l’aspect « téléphoné » va de pair avec le ton du roman, qui sonne immédiatement faux.
Philippe Djian, Incidences. Gallimard, 232p.