Celui qui sent le sol se dérober sous son pas de moins en moins pesant au demeurant / Celle qui reste silencieuse devant ses patiences / Ceux que le bruit fait s’écarter de la Place de la Victoire / Celui que toute forme de violence même minime désarme / Ceux que la masse invisible mais omniprésente écrase / Celui que tout déçoit sauf les enfants en dessous de sept ans et les otaries au jeu / Celle qui diffuse encore un peu de lumière mais plus beaucoup / Ceux qui reviennent à la grabataire pour l’entendre chantonner contre le mur / Celui qui reprend son tour du bourg en se répétant qu’il est le Kant du canton et doit cette présence fidèle à l’Être Supérieur / Celle qui se dit que sa rage désespérée reste une façon d’espérer / Ceux qui égrènent des chapelets comme d’autres alignent des pages de sudaku / Celui qui se dit en recherche sans se souvenir de quoi et qui trouve pourtant sans savoir expliquer quoi / Celle qui va pour se jeter sous le train mais qu’un retard de celui-ci empêche d’arriver à ses fins donc elle rentre à la maison pour demander à sa fille au téléphone si les enfants vont bien / Ceux qui se croient aimés pour leur argent alors qu’ils sont ruinés et seuls à l’ignorer / Celui qui reprend la lecture régulière des journaux gratuits pour les faits divers abracadbrants qu’on y trouve comme l’histoire de la jeune fille qui a retenu son père cloîtré dans un cellier insalubre et gardé par un chien policier depuis qu’il lui a mis la main au sein et dit de sales choses sur sa mère demeurée mais bonne / Celle qui pouffe en songeant au dernier tête-à-tête de Chopin et de George Sand bottée et coiffée d’une bombe de fan de cheval / Ceux que l’humour irrésistible de la Vie en tant que telle dispose à la bonne humeur des scouts dits « malgré tout », tel Chef Lapin Fragile affligé de naissance d’une jambe torse et d’un bec-de-lèvre dont il défie les handicaps en sifflant des airs du genre Hello le soleil brille en sautillant sur sa canne de noisetier, etc.
Image : Philip Seelen