J’avais douze ans quand j’avais bu ma première goutte d’alcool. C’était du whiskey. Quand j’avais porté la première gorgée dans ma bouche, c’était amer et l’arrière goût n’était pas fameux, mais l’effet qu’elle me fit après fut détonnant. Je me suis senti léger, soulagé, de bonne humeur. Mon père était ravi de voir que son petit fils a grandi. Il me tapota l’épaule, me sourit pour la première fois (et la dernière d’ailleurs), puis se tourna vers sa maîtresse (une parmi tant d’autres) et lui lança : « mon fils est aujourd’hui un homme ! Vivement qu’il suive l’exemple de son père ! » Et quel exemple !
Pourquoi ce souvenir exactement ? Et pourquoi aujourd’hui ? On va dire que la nouvelle qui vient de me tomber dessus m’a déboussolé. Pourquoi mon père,y'a quelques mois, lui, malgré la vie de débauche qu’il a eu, eut une mort paisible, entouré des siens (c’est vrai qu’il ne baignait pas dans leur amour et affection, mais quand même)? Pourquoi quand la vie commençait enfin à me sourire, on vient tout réduire à néant?
Aaah mon père, ce personnage ! Je ne vais pas dire que je le détestais, ni que j’en étais fier. Mon père à moi n’a jamais assisté à aucun de mes matchs ni de présentations théâtrales, mais il n’a jamais non plus levé la main sur moi. Il était ce genre de père absent. Toujours en mission à l’étranger, et quand il était là, il s’isolait dans son chalet de D. pour ses soi-disant réunions de boulot. Le champagne coulait à flot, et les escort-girls les plus chics et les plus chères tenaient compagnie à ces hommes d’affaires tirés à quatre épingles.
Quand c’était les vacances, et si on se tenait bien pendant les dîners, mon frère et moi, gagnons le privilège de l’accompagner pour le weekend à son chalet, à condition qu’on ne s’avise pas à le rejoindre pendant la soirée. Ma mère était bien sûr contre, mais elle ne faisait rien pour s’y opposer. Elle était plus ou moins ravie de pouvoir s’accorder un peu de temps seule, et sûrement voir son amant attitré -et supposé secret- alors que tout le monde le voyait avec nous lors des dîners hebdomadaires et ça lui arrivait même de nous réveiller les matins pour aller à l’école.
Ceci dit, je devrais remercier mon père. Oui le remercier ! Car c’est grâce à lui que je l’ai connue. C’était mon 30e anniversaire. Mon père l’a ramenée avec lui chez nous. A vrai dire, il ne faisait plus l’effort de se cacher depuis que la liaison de ma mère lui vint aux oreilles. Dès qu’elle entra dans la pièce, tous les regards se tournèrent vers elle. Cette fois-ci, mon père avait ébahi et épaté toute l’assemblée. C’était encore mieux que le dernier modèle de BMW qu’il avait exhibé ou le dernier loft qu’il avait offert à mon frère pour sa promotion. Après l’habituel toast, j’eus l’audace de l’approcher et lui demander son nom.
« Victory. Je m’appelle Victory. »
A suivre...