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Obscurité (8)

Publié le 23 février 2010 par Feuilly

Sa mère le regarda et ne répondit pas. Sans doute n’avait-elle plus assez d’énergie pour prendre une position ferme, alors elle ne dit ni oui ni non. Le découragement la gagnait, cela se voyait et elle était prête à accepter n’importe quelle solution, pour autant qu’elle puisse enfin sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouvait. L’enfant interpréta donc son silence comme une acceptation tacite et il se mit aussitôt au travail. Il s’agissait de trouver un moyen pour pénétrer dans cette demeure. D’abord, il fit le tour des portes et des fenêtres du rez-de-chaussée, mais elles étaient hermétiquement closes par de gros volets en bois lesquels devaient être maintenus de l’intérieur par des crochets ou des barres de fer. Impossible donc d’entrer par-là. Les étages ? Impossible également, car là aussi il y avait des volets partout, sauf à une petite lucarne qui donnait directement dans le toit mais, vu la hauteur, celle-ci restait inaccessible. Quant à la grande porte de la grange, il ne fallait pas rêver, elle était également barricadée de l’intérieur. N’importe qui, devant une telle forteresse, se serait découragé, mais pas lui. Il se dit que si les volets qui protégeaient la porte d’entrée avaient été fermés de l’intérieur, c’est que la dernière personne qui avait quitté la maison connaissait un autre passage, un passage secret en quelque sorte. Cette idée n’était pas pour lui déplaire. Pour un peu il se serait cru dans un roman de Dumas, avec tous ces mousquetaires qui s’introduisaient auprès de la reine par des portes dérobées, dissimulées par des tapisseries et qui quittaient ensuite discrètement les lieux par des escaliers inconnus de tous, donnant dans des caves ou des souterrains.

Il fit trois fois le tour de la maison sans trouver le moindre indice. La reine mère, pendant ce temps, avait passé un bras autour du cou de la petite princesse Pauline et elle restait là sans rien dire, lui caressant machinalement les cheveux. Appuyées toutes les deux contre le capot de la voiture, elles semblaient attendre quelque miracle, quelque fait imprévisible qui leur permettrait de retrouver le sourire. L’enfant sentit que tout dépendait de lui. La pression était énorme. Mentalement, il se nomma capitaine des mousquetaires du Roy, dans l’espoir que cette haute fonction lui permettrait de résoudre plus facilement l’énigme qui se posait à lui. Mais il avait beau réfléchir, son nouveau grade ne lui donnait pas la réponse à cette double question : comment entrer dans cette maison ou, ce qui revenait au même, comment savoir par où le dernier habitant des lieux était sorti ? Ne trouvant aucun accès au bâtiment proprement dit, il se mit à explorer les alentours. L’ancienne ferme ayant été construite à flanc de colline, sa partie arrière était plus haute que sa façade avant puisqu’à ce niveau le mur de ce qui devait être les caves était visible. Malheureusement ce n’était qu’un mur, en grande partie dissimulé par une végétation foisonnante et aucune ouverture ne semblait y avoir été pratiquée. Il eut beau s’écorcher les cuisses dans les ronces et se griffer le visage aux branches des noisetiers, il ne trouva aucune porte donnant accès au bâtiment. Il prit un peu de recul pour mieux observer la façade arrière. Vue d’ici, la maison ressemblait à une forteresse moyen-âgeuse. Elle aurait résisté sans problème à aux invasions barbares, que ce soit celles des Huns ou celles des Vandales. Résisterait-elle à la sagacité tenace d’un mousquetaire ? Pour le moment, c’était le cas, malheureusement.

Découragé, il se dirigea vers un petit bâtiment qui avait dû être une porcherie ou une remise pour ranger les outils. Celui-ci ne tenait pas directement à la maison, mais se situait à une dizaine de mètres sur sa gauche et en contrebas. Une vieille porte de chêne en fermait l’entrée mais il était impossible de l’ouvrir car des planches avaient été clouées à l’extérieur pour en barrer l’accès. Sans voir le moindre rapport entre cette remise et la maison, l’enfant se mit cependant en devoir d’arracher ces planches, car, depuis une demi-heure qu’il errait au hasard, c’était la première occasion qui lui était donnée d’entrer en action et de réaliser quelque chose de concret.

Elles étaient bien récalcitrantes, ces planches, il n’y avait pas à dire ! En fait, elles n’étaient pas seulement clouées, mais aussi vissées, comme si on avait voulu éviter toute possibilité d’intrusion. L’enfant tira de toutes ses forces sur l’une d’entre elles, mais se fut en pure perte. Alors il se mit à chercher dans les environs un outil quelconque, un bâton, un vieux pied-de-biche, une tenaille rouillée, n’importe quoi en fait, mais il n’y avait rien. A l’horizon, le soleil descendait et tout le plateau était illuminé d’une lumière rougeâtre et crépusculaire. Il ne fallait plus traîner car il allait bientôt faire noir. Désespéré, il chercha de tous côtés dans les hautes herbes et à la fin il finit par découvrir une vielle barre de fer toute rouillée qui traînait dans les orties. Il s’en empara en serrant les dents et, les mains en feu, il revint vers la porte. Il lui fallut alors enlever toutes les planches et une bonne demi-heure s’était déjà écoulée qu’il n’en était encore qu’à la moitié. En effet, récalcitrantes, les lattes grinçaient tant et plus avant finalement de céder.

Le bruit qu’il faisait avait attiré sa mère et sa sœur, lesquelles contemplaient, incrédules, ce travail de sapeur. « Tu n’y arriveras jamais », dit Pauline. Comment cela, il n’y arriverait jamais ? C’est ce qu’on allait voir. Il redoubla si bien d’effort, tirant et poussant dans tous les sens, qu’à la fin il ne resta plus qu’une planche, mais quelle planche ! Plus épaisse que les autres, elle était maintenue par des clous beaucoup plus gros et beaucoup plus longs, sans compter qu’elle était placée bien trop haut pour sa petite taille. « C’est très bien, tout ce que tu fais », lui fit remarquer sa mère, « mais cela va nous servir à quoi de pouvoir entrer dans cette vielle remise ? Laisse tomber, on dormira dans la voiture, on commence par avoir l’habitude, non ? » Pour toute réponse il fit rouler une grosse pierre devant la porte et monta dessus. Maintenant qu’il était à meilleure hauteur, il put se remettre au travail avec encore plus d’acharnement. Abandonner si près du but lui semblait une folie. Il n’avait quand même pas fait tout cela pour rien ! Aussi, sans bien savoir, en effet, à quoi cela servirait de pénétrer dans cette remise, il poursuivit ses efforts jusqu’au moment où la planche céda dans un dernier grincement de clou arraché. Ouf ! Au moins on ne pourrait pas dire qu’il reculait devant la première difficulté...

Ils pénétrèrent tous à l’intérieur et la mère se mit en devoir d’enlever la barre de fer qui barricadait le volet afin de donner un peu de clarté, car il commençait vraiment à faire sombre. Ce qu’ils virent alors les étonna au plus haut point.

 

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