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Bavardage orgasmique

Publié le 24 février 2010 par Kranzler
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Et,alors que nous venons à peine de jouir pour la troisième fois dans ce misérable sauna berlinois, et alors qu’il me gonfle car ce n’est pas incompatible, le voilà qui se sent obligé de me dire de sa belle voix rauque qu’il s’appelle Klaus - Klaus, comme s’il cela m’intéressait le moins du monde, et je me récite en moi- même une litanie de prénoms ayant pour avantage d’être  parfaitement interchangeables et faciles à oublier : Thorsten et Lothar et Heinrich, Wolfgang, Ludwig et j’en passe, une soixantaine, quelques centaines, je n’ai jamais tenu de comptabilité. Dans la cabine à gauche de la nôtre, trois types essaient péniblement d’arriver à une sorte de vague orgasme. Je ne sais pas ce qui m’amuse le plus, ou leurs efforts méritoires, ou la musique de salopes lugubres qui couvre leurs ébats - une sorte de dong dong dong rythmé, pitoyable et totalement merdique, genre mélopée pour microcéphales, et malheureusment les allemands fabriquent de très bon haut-parleurs, ce qui m’oblige à hausser la voix pour lui demander de répeter sa question. Tout en pensant qu’il y a une éternité indécente que je n’ai pas mangé huîtres , au moins trois douzaines et sans personne pour me souler, avec du vinaigre et des échalottes, j’essuie mon gland que trois orgasmes successifs semblent avoir rendu définitivement violet. Klaus insiste : il veut savoir si nous ne nous sommes pas déjà rencontrés à la soirée bain mousse ici même il y a exactement une semaine, à quoi je réponds sèchement non, définitivement non - une voix aussi niaise et insupportable que la sienne, je m’en souviendrais.  Les murs de la cabíne sont couleur aubergine et je commence à m’emmerder très ferme, d’autant plus qu’il me pose des questions intimes car visiblement je l’intéresse. Il a remarqué la légère raideur de ma jambe gauche. Un accident ? Une simple glissade sur la neige ? Je lui réponds une entorse, je me suis viandé sur la glace à cause de cette pute de Pénélope Cruz, et ça me fait chier que dans cette saleté de ville de gauche il y ait du pognon à gogo pour la culture mais rien pour enlever la neige des trottoirs - bernique, peau de zob, comme si les vieilles berlinoises obèses avaient juste le droit de se viander par terre. Mais les grosses ne comptent pas, j’ajoute. Les vieilles grosses ne sont pas une minorité intéressante, elles ne sont ni turques, ni gouines qui ne se désherbent pas les aisselles, ni victimes des radiations ionisantes consécutives à l’explosion de Tchernobyl, ni nées dans un pays où sévit une quelconque et abjecte dictature, ni malades du sida, ni juives, ni nées de parents pédophiles - elles n’ont pas d’étiquette assez marquante, en somme. On ne peut les mettre dans aucune case représentative, et donc pourquoi on enlèverait la neige des trottoirs, hein, pour des bougresses  nées ici mais qui souffrent d’un déficit d’étiquette et ne sont dans un aucun coeur de cible ? Tu ne trouves pas imbuvable, je continue, qu’il faille être dans une case pour être entendu ? N’importe quelle case merdique et quantifiable du genre tsunami, minorité opprimée, et ce genre de conneries ? Et là, au moment où je me retourne, toujours assourdi par le dong dong dong pour microcéphales, je constate avec soulagement qu’il n’est plus dans la cabine. Il est parti - un soulagement, car je dois avouer que je savais pas comment m’en défaire. Et je me retrouve seul, le gland violacé - seul mais immensément heureux de n’appartenir à rien, à aucun groupe, et de n’avoir jamais cru à rien.

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