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Les Vanupieds (30)

Publié le 26 février 2010 par Plume
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Habile enfant des rues, Adam s’en fut à des quêtes interminables, laissant France à la garde d’une Alissa navrée de ne pouvoir se lancer à l’assaut des marchés comme lui mais consciente de la nécessité d’une présence rassurante auprès de leur sœur aînée. Pendant les longues absences du garçon, la fillette restait des heures entières assise en tailleur au côté de cette dernière. France accrochait tant qu’elle pouvait ses yeux brillants aux siens, grelottante, tétanisée par la souffrance, comme si elle cherchait le salut dans ce visage éploré penché sur elle :

« Oh ! France ! l’implorait Alissa en joignant les mains. Il faut que tu tiennes bon ! Il faut que tu vives ! Ne nous abandonne pas… Tu as dit que rien ne nous séparerait… jamais… »

Le visage de l’aînée se couvrait d’une ombre. Elle esquissait une grimace et refermait les paupières, tristement, incapable de lui apporter le soulagement qu’elle quémandait. Alors Alissa cachait son visage ruisselant de larmes contre sa joue brûlante :

« Adam va revenir ! Et il va rapporter de quoi manger, pour nous trois… Oh ! France ! S’il te plait, reste avec nous… »

France tremblait. Elle tentait de soulever sa main pour la poser tout contre la chevelure blonde de l’enfant accablée. Mais elle avait beau déployer tout l’énergie qui lui restait, elle ne parvenait pas à décoller sa paume du sol. Alors, épuisée, elle renonçait et laissait sa petite sœur pleurer tout contre elle, désespérée de ne savoir comment faire pour la consoler.

Interminable lutte. Interminable attente.

Adam marchait lentement entre les haillons et les habits de soie qui se croisaient sur les pavés encore humides des dernières pluies, petit garçon méfiant tout auréolé de sa longue chevelure dorée comme les blés. Ses yeux très bleus cherchaient un peu de ciel, un peu des parfums de la terre emportés par la brise mais la ville puait les ordures, les cadavres des rats en putréfaction et la fumée des usines masquait la beauté de l’horizon.

Guidé par ses sens olfactifs particulièrement développés, Adam se dirigeait vers le marché où il trouverait certainement de quoi les nourrir. Ses épaules se redressèrent. Ses sœurs comptaient sur lui. Et il sentait monter en lui une farouche volonté de les satisfaire, dût-il prendre des risques. Il était si petit, si malingre, que personne ne le remarquait. Heurté de tous côtés dans une foule indifférente, il tombait régulièrement, sans que quiconque prenne la peine de s’arrêter pour lui tendre une main secourable. Adam n’en attendait pas de toute façon. Il se relevait péniblement, affaibli par les privations, détournant la douceur innocente de son regard, et s’éloignait sans mot dire, serrant les poings, le cœur soulevé de colère.

Des éclats de voix, des appels interminables, des jurons bien sentis lui parvinrent soudain, dominant le grincement des roues et le martellement des sabots sur les pavés. Adam accéléra son pas, le cœur battant. Un marché, enfin. Et il lui apparut en effet, immense, riche de nourritures de toute sorte, embaumantes et chaudes, de tissus multicolores et d’onguents malodorants que vantaient les ambulants en chapeau noir aux ombrelles en dentelle. Adam se fraya un passage entre les jupes de chiffon et les pantalons de toile grossière, évita craintivement les jupons de soie et les bottes de cuir, et commença sa quête, tous les sens en alerte, examinant tous les stands qui l’entouraient et autour desquels se pressait une foule bruyante, recouverts pour celui-ci de légumes, pour celui là de charcuteries, pour celui là enfin de poissons peu frais… Adam passa sa main sur ses lèvres et plissa les paupières. Il s’arrêta un instant à l’angle d’une haute maison bourgeoise et s’accroupit, les sourcils froncés. Qu’aurait fait France ? Elle disait :

« Voler sur un marché est aussi facile que de se faire prendre la main dans le sac. Alors, ruse ! »

Adam réfléchit longtemps, se remémorant les divers et nombreux tours sortis tout droit de l’imagination de France, et brusquement sut ce qu’elle aurait fait, avec cette fine intelligence qui la caractérisait. Un large sourire illumina le bleu pâle de ses yeux. France serait fière de lui, à n’en pas douter. Il se faufila entre les robes, repéra plusieurs stands alléchants, se tint prêt à foncer, les traits décidés. Il mit alors ses mains en porte voix et hurla de toutes ses forces :

« Au feu ! Au feu ! »

Des cris stridents lui firent écho dans la seconde qui suivit. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, une panique folle s’empara de la foule : les jupons se relevèrent et s’enfuirent, les stands vacillèrent sous la poussée générale, certains s’effondrèrent, renversant leurs contenus sur les pavés et les bottes, les sabots écrasèrent fruits, pains, poissons, légumes, sur lesquels ils glissèrent magistralement avant de s’affaler dans les paniers d’osier et les caisses.

Adam remplissait son sac de tout ce qui roulait jusqu’à lui, sans que personne ne songe à l’en empêcher, riant de l’affolement et des bousculades, se servant librement à tous les stands, outils, tissus, baumes – on verrait plus tard ce qu’on en ferait – et enfin s’enfuit à toute jambe, le sourire aux lèvres, mordant à pleines dents dans une belle pomme rouge juteuse. Ses sœurs mangeraient à leur faim, il badigeonnerait la cheville blessée de ces onguents miracles comme ils disaient, France guérirait plus vite et les citadins en colère n’oublieraient pas de sitôt leur frayeur, ce jour de marché…


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