Eclipse de nerfs

Publié le 26 février 2010 par Kranzler

Et parfois, parce que je décide d’être le plus calme des grands garçons, je laisse la paix venir et ça dure quatre ou cinq jours entiers durant lesquels rien ne me touche – rien, vraiment rien, et je me surprends à ne pas froncer les sourcils une seule fois.

Au fond de moi, je sais pertinemment pourquoi je veux tre dans cet état-là, et pourquoi j’y arrive. Mais la raison, je ne tiens pas à en parler ; je ne sais pas si ça peut se deviner. Je crois qu’ici et là j’ai déjà dû plus ou moins y faire allusion, dans un style très indirect qui me ressemble.
 

Depuis maintenant trois semaines, la paix commence le vendredi soir – un simple coup de griffe pour l’accrocher et elle ne lâche plus. La paix parce que c’est le week-end ? Non, pas dans mon cas. Le vendredi, le samedi et le dimanche je commence à travailler à vingt et une heures, un horaire auquel je suis complètement habitué – le seul ennui étant que vers dix-huit heures, frais, douché et le ventre plein, je sens parfois que mes yeux voudraient se fermer. Alors je n’attends pas. Puisque de toute façon je suis prêt, je pars. Je pars et – une heure de trajet et quarante pages plus tard (en ce moment American Psycho, en allemand car je ne lis plus rien d’autre) je vais marcher dans la nuit et dans le nord.

Sur le plan de Berlin, Tegel est tout en haut. Il y a un lac, il y a un port, mais Tegel c’est aussi un quartier urbain où je me sens ridiculement bien – un de ces rares endroits où mes vingt ans affleurent. C’est le dimanche soir que je préfère, vers vingt heures, lorsqu’il n’y a personne dans la rue. Les rues de noms me plaisent : Gorki Straße, Alt Treskow, et surtout Karolinenstraße, l’artère où d’un seul coup finit la ville, presque sèchement, et juste après commence la dense, noire, noire, noire fort de pins. J’ai écrit trois fois noire mais ce n’est pas encore assez. C’est amusant, une ville brusquement bordée de sangliers.

Je ne m’éloigne pas, bien sûr. Je reste sagement dans la rue et je regarde btement les magasins, les néons un peu criards : rouges ceux des pharmacies, jaune celui de la bijouterie Marvineck, jaune la Commerzbank – mais depuis une semaine les six premières lettres sont éteintes et tout ce qu’on peut lire est ZBANK, juste en face de chez CA. Mon dieu que je suis calme. En ce moment, tout et même franchement n’importe quoi me semble nimbé de charme : les vitrines de chaussures, les mannequins silencieux qui font toujours la même tte. C’est bien simple, je crois que mme en me forçant je serais incapable de prononcer – et de penser – un seul mot grossier. Ah oui, au fait. J’ai également repéré une petite rue piétonne où les terrasses seront certainement sympathiques au printemps. En mai ou juin, un après-midi ou un soir où j’aurai libre, je viendrai boire un café ou une bière fraĩche ; si tout va bien, je ne serai pas seul, mais accompagné, et ensuite, nous verrons. Un premier rendez-vous doit se dérouler dans la plus grande sérénité. En attendant, ce soir, j’ai marché jusqu’au début du canal. C’était presque pleine lune. Le ciel était presque parfaitement dégagé, et je suis resté un très long moment à regarder les cygnes – et à les écouter.