New York, janvier 2006: un ami, grand connaisseur du luxe et de la mode, m'entraîne sur la 5ème avenue. "Have you seen the latest retail craze? I bet you never have seen something like this!" C'est là que j'ai découvert le nouveau concept store d'Abercrombie & Fitch. D'entrée de jeu un des codes majeurs du retail était cassé: les vitrines extérieures étaient occultées. Le refus de montrer pour mieux attirer les clients vers l'intérieur. Tout le monde connait aujourd'hui les grands principes du concept: une ambiance de boîte de nuit, une tonalité très "sexe", des vendeurs et vendeuses ultra-lookés (les hommes étant torse nu), de la musique, une boutique "dédale" avec d'immenses photos, de la musique à un volume élevé... Je notais à l'époque autre chose: l'inaccessibilité des produits. Pliés, empilés, ils étaient tout autant des éléments du décor. Impossible de les toucher. Impossible de toucher les vendeurs/vendeuses. Abercrombie & Fitch: un monde de frustrations... et donc de désirs. Je suis sorti de là étonné, avec malgré tout quelques interrogations.
Quatre ans plus tard, où en est la marque? Depuis 2 ans ses chiffres sont mauvais. Les ventes ont reculé de 16% en 2009, le résultat net est à 8,7% du CA. Tout le monde parle d'impact de la crise. Mais la vérité est ailleurs: depuis 1999 la marque n'a vu son chiffre d'affaire à périmètre égal ne croître qu'une seule fois en 2006! C'est à dire que l'on a assisté à un double mouvement: une croissance des ventes globales et une chute des ventes dans les magasins existants. Abercrombie & Fitch ne se développe donc que par une fuite en avant d'ouverture de nouveaux magasins. L'ouverture d'un magasin à Tokyo en 2009, puis à Copenhague en 2010 et l'arrivée attendue en France en 2011 participent de cette stratégie. Comme le disent leurs documents: "The Company's Growth Strategy Relies on the Addition of New Stores" (10K Mars 2009). On peut d'ailleurs noter que dans certaines présentations la marque "cache" ces résultats derrière les résultats globaux qui eux sont très largement positifs dû aux nouvelles ouvertures de magasins.
Ceci confirme mon analyse de la marque: une marque qui s'est construite sur un concept marketing (le mix sexe/frustration/désir), extrêmement bien développé et mis en œuvre... mais avec une absence de produits (du classsique casual américain comme Gap l'a développé depuis des années..). Les clients arrivent attirés par le lieu, l'ambiance, le désir de posséder un produit de la marque, de faire partie de cette "expérience" assez unique... et ne reviennent pas. Nous sommes loin de la puissance d'une marque développée il y a 30 ans sur le même concept: Calvin Klein. L'avenir de la marque me semble bien compromis...