"Qu'elles étaient belles ces méduses. En tout cas, aux yeux de Piers. Pour ma part, je les trouvais répugnantes. Un jour, bien plus tard, en en voyant une de la même espèce dans un musée océanographique, je me suis sentie mal. Ma gorge s'est nouée, j'étouffais et il m'a fallu sortir. "Phylum cnidaria", méduse. Ces créatures tiennent leur nom de la Gorgone, dont la chevelure est constituée de serpents entrelacés et dont le regard suffit à vous transformer en pierre.
Celles qui étaient venues s'échouer par milliers sur la plage de Llosar étaient d'une transparence vitreuse, couleur d'aigue-marine, et de leur corps en forme d'ombrelle pendaient des tentacules cristallins, des sortes de pattes semblables à des stalactites. C'est du moins l'aspect qu'elles offraient quand elles flottaient sous la surface de l'eau bleue. Naufragées sur le sable et les rochers, elles se ratatinaient en disques aplatis et gélatineux, évoquant un entremet affaissé. Avec l'aide de Will, mon frère, qui avait bon coeur, s'acharna à les remettre à l'eau pour les sauver de la brûlure du soleil mais, bien que la marée fût à peu près nulle, la mer en montant les rejetait sans cesse sur la grève. Je ne parvenais pas à comprendre comment ils pouvaient toucher ces choses frémissantes et visqueuses. Rosario, qui se tenait à l'écart, elle aussi, les regardait faire avec une perplexité amusée.
Le lendemain, une atroce puanteur s'élevait de la plage, là où le soleil avait cuit les méduses, accélérant le processus de décomposition. Il n'était donc pas question d'y aller. Nous descendîmes au village et, de là, nous prîmes la route de Pollença qui traverse des vergers d'abricotiers et des plantations d'amandiers. Les abricots séchaient au soleil, sur des clayettes, sous une chaleur jour après jour aussi pesante. Depuis quinze jours que nous étions à Llosar, il n'y avait pas eu un seul nuage. Le bleu du ciel flamboyait dans la lumière caniculaire d'un soleil invisible. On ne le voyait en effet qu'au moment où il se couchait et basculait dans la mer en grésillant, comme du fer chauffé au rouge qu'on plonge dans l'eau.
La route était ombragée par les arbres fruitiers, et des branches de pins touffues abritaient le pont enjambant la rivière asséchée. C'est à cet endroit, pendant que nous nous reposions en contemplant les collines jaunes et les bosquets d'oliviers, que Will proposa d'aller voir "la petite maison hantée"..." (...)
Ruth Rendell - L'Arbousier - Folio n° 3620.