Celui qui descend un jour du train pour voir de plus près la petite maison dans les prés qui lui fait signe depuis des années / Celle qui interrompt tout à coup la dictée de Monsieur Lepoil son chef de bureau et se lève et s’en va faire un tour avec son chapeau vert / Ceux qui ont tellement tué le temps qu’ils n’en ont plus à perdre / Celui qui est parti ce matin en sens opposé / Celle qui ne stresse plus depuis que les RH l’ont déclarée ingérable / Celle qui pense que son temps viendra sans savoir trop où et quand / Ceux dont ont dit qu’ils ont fait leur temps et qu’on case dans des asiles dont les pendules tournent au ralenti / Celui qui s’est mis en tête de ferrer les chevaux marins / Celle qui revient dans la Campagne de la Solitude juste pour le nom / Ceux qui n’ont jamais le temps d’écouter, les pauvres / Celui qui fait des patiences à journée faite non sans composer de tête des poèmes clairement affiliés à l’Ecole du Silence et qu’il ne publiera jamais / Celle qui a gardé la fraîcheur de ses sept ans pour avoir su prendre le temps de ne pas vieillir / Ceux qui cheminent le long de l’autoroute à pied en tirant parfois la langue aux enfants de la lunette arrière des bolides vrombissants / Celui qui reproche à sa mère de penser qu’il pourrait n’avoir pas le temps de la venir voir / Celle qui passe des heures à regarder les enfants du parc Denantou / Ceux qui trouvent toujours le temps de niquer la fille de la concierge / Celui qui a inventé un huitième jour durant lequel il a tout loisir de se tourner les pouces et parfois même de fonder une entreprise à broyer les minutes / Celle qui ne vit pas toujours hors du temps puisque la voici se pointer au Bancomat avec un air fébrile / Ceux qui enjolivent les temps passé en oubliant les ravages de la grippe espagnole ou de l’Inquisition catholique fatale à leurs parents sorciers ou supposés tels / Celui à passé plusieurs années à relire Le Temps retrouvé en boucle / Celui qui prends le temps de relire dans Le Temps retrouvé les passages où Marcel Proust entreprend le procès de la guerre mondiale et souligne cette exclamation du général Pau à la déclaration de la guerre : « J’attendais ce jour-là depuis quarante ans, c’est le plus beau jour de ma vie ! » / Celle qui se demande ce que ce Monsieur Proust aurait pu écrire encore après avoir comme qui dirait retrouvé le temps / Ceux qui prétendent qu’ils n’ont même pas le temps de respirer alors qu’ils passent leur carrière de fonctionnaires à ne rien branler dans leur bureaux réglés à l’heure de partout / Celui qui a pris le temps et l’a caché dans un recoin de la maison close / Celle qui prend toujours le temps de régaler le très beau jeune pauvre surnommé Le Bouc et qui n’a que sa vigueur et ses yeux verts pour la payer / Ceux qui estiment avoir encore tout le tempos de penser à tout ça, etc. Image: Philip Seelen