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En chute libre - 2

Publié le 03 mars 2010 par Kranzler
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Ce soir-là, en fait, il n’avait pas envie qu’on lui parle de quoi que ce soit. Il voulait juste qu’on le laisse rêver et manger en paix. Est-ce que c’était si difficile à comprendre ? Est-ce qu’il fallait le demander sur un ton spécial pour être entendu ? C’était presque agaçant, à la fin, parce quand le contraire se produisait, quand c’était Lydie qui n’était pas d’humeur à bavarder, il n’avait pas besoin qu’elle lui fasse un dessin. Il ne lui fallait pas longtemps pour voir qu’elle n’était pas dans son assiette, et alors il mettait un point d’honneur à ne pas l’ennuyer.     Le restaurant se trouvait à deux minutes de la gare. A cause du vent, les haut-parleurs portaient loin et on entendait l’habituelle voix féminine annoncer l’arrivée du train en provenance d’Avignon. Il observait en silence les platanes qui avaient pratiquement perdu tout leur feuillage. Il avait plus en fin d’après-midi, une averse violente, et il faisait déjà nuit noire. Sur la chaussée, on pouvait voir se refléter les illuminations de Noël qui étaient suspendues en travers de l’avenue. C’était un moment de l’année qu’il aimait bien, où il oubliait facilement qu’il n’avait personne avec qui passer les fêtes.
 
    C’était quand même bien pratique ce restaurant juste en face de l’hôtel. On y mangeait convenablement et pour un prix correct. Il ne manquait pas d’y envoyer les clients qui lui demandaient une bonne adresse, surtout ceux qui ne restaient qu’une seule nuit et n’avait pas envie de chercher longtemps parce qu’ils avaient voyagé toute la journée et devaient se lever tôt pour prendre un ferry à la gare maritime Orsetti. - Un bon restaurant dans le quartier ? Pas trop cher et où vous n’attendrez pas longtemps ? Vous n’avez qu’à essayer le Canotier, répétait-il toujours. Regardez, c’est juste en face. Vous n’avez que la rue à traverser.     De temps en temps, il ne manquait pas de se trouver un client qui ne se sentait pas spécialement disposé à suivre son conseil. Ce qui pouvait se comprendre car, vu de l’extérieur, l’établissement ne payait pas de mine. La devanture n’avait même rien de très attirant ou d’exceptionnel, pour dire la vérité. - Et la pizzéria, juste à côté, on y mange bien aussi ? C’était une question qui revenait assez souvent, parce que la pizzéria en question était beaucoup plus voyante que le modeste restaurant. On ne voyait même qu’elle, avec son éclairage criard et son néon rouge. Invariablement, Marc trouvait toujours une formule vague et en même temps assez explicite pour que le client comprenne à demit-mot que s’il choisissait d’y aller c’était à ses risques et périls.     En moyenne, il dînait un soir sur deux au Canotier, aussi souvent que possible à la table deux d’où on avait la meilleure vue sur l’hôtel. Le repas était toujours vite expédié, pour ne pas retarder Lionel qui quittait son service à la réception à vingt heures. La plupart du temps, il restait éveillé jusqu’à minuit, consacrant au moins deux heures chaque soir au classemment des papiers et des factures, aux commandes qu’il fallait rédiger - celles pour les produits d’entretien ou pour le petit déjeuner. Depuis dix ans qu’il exerçait la profession, il savait exactement cobien de temps lui durait un carton de café, de portions de confitures ou de serviettes en papier.    Les clients qui voulaient sortir savaient qu’ils devaient lui remettre là clé de leur chambre à la réception, qui fermait à vingt-deux heures. Au-delà, pour entrer ou sortir, il fallait sonner pour qu’il descende ouvrir. Ce qui n’était jamais prévisible, c’était combien de fois chaque soir il devait descendre, puis remonter ensuite sans ascenseur jusqu’au deuxième étage où il habitait un appartement constitué de ce qui était à l’orogine la chambre quinze et la seize, entre lesquelles il avait fait abattre la cloison pour gagnner en espace. Il n’y recevait jamais de visite.     La nuit en semaine l’avenue était rarement bruyante. A la longue, il ne faisait plus attention aux voitures. Le week-end en revanche, à causes des nombreux bars du quartier, il était fréquemment par les éclats de voix, les claquements de portières répétés. Il était habitué à vivre avec ces inconvénients, à rattraper en une seule fois le manque de sommeil qui s’accumulait durant les nuits de fin de semaine. (à suivre...)

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