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Les larmes du paysan et le béton du cultivateur

Publié le 03 mars 2010 par Jcr3
pauvre-paysan

Vous avez assisté, vous aussi, à ce grand moment de télévision, samedi 20 février, où, entre un ministre désinvolte et un amuseur prétenduement concerné, un brave paysan est venu exprimer toute sa détresse.

Les mots ne lui venaient pas bien, il tremblait d'émotion en déclinant la litanie de
ses malheurs et ses doléances contre la centrale d'achat, les distributeurs... Il est là, à la télé, à dire qu'il n'en peut plus, qu'il est à bout, qu'il ne gagne pas d'argent. On frissonne en songeant à la jacquerie. On se dit qu'avec les paysans, c'est l'insurrection, le grand soir, l'aube nouvelle qui arrivent ensembles !

Le malaise est prégnant quand il laisse couler les premières larmes. C'est vrai, ça chamboule de voir un pauvre homme pleurer à la télé. Surtout un paysan. Ce ne sont pas, en général, des hommes à se plaindre, et pour paraphraser MC Circulaire, « un paysan ne pleure pas, il se suicide », et avant il va butter le préfet et plomber la gendarmerie.

de colère et de honte

« Travailler de 8 à 12 heures par jour », il ne touchera que 700 € de retraite, dans sa grande maison, au milieu de son grand jardin, ses quelques bêtes et son potager naturel, au fumier (c'est pour lui). Après toutes ces années à s'extirper de la boue, à devenir un « agriculteur » un
« cultivateur » du nom de son outil et non plus un vulgaire « paysan » du nom de sa terre.

Il verse des larmes de colère et de honte d'avoir à afficher sa pauvreté dans les salons parisiens. « Cultivateur », ça sonnait quand même plus moderne, ça sentait la ville, la technocratie, le col blanc et les mains propres. Il y a cru, il aurait du se méfier, le croquant, si il cultive ce sont d'autres qui récoltent. Il ne l'a pas vu revenir le servage.

Il faisait dans la Goldens délicious©, de celles qui remplissent les rayons des discount-marchés. Énormes, jaunes-uniforme, ultra-sucrées. Il ne se posait pas de questions, le « cultivateur », quand il enfilait sa combinaison et son masque à gaz, pour aller travailler au verger. Il ne pleurait pas quand il pulvérisait du RoundUp©, épandait le mélange NPK ultra dosé, les activateurs de floraison et les additifs fructifères.

Juste un peu, quand même, parce que ça piquait les yeux.

Il en a croqué des subventions de la PAC. C'était bien pratique et « ça eu payé », comme disait Fernand. Mais ça paye plus. Ils n'en veulent plus de ses Golden ! Le marché s'en fout qu'il soit devenu un cultivateur, les Goldens dégueulasses© sont moins chères à coté ! Lui il ne peut pas employer de la main d'oeuvre aussi bon marché, sinon, vous pensez bien...

Alors il pleure, le pauvre, il se sent rejeté, lui qui avait pourtant si bien suivi les consignes, les dosages. Si il en avait l'autorisation, demain, il retournerait son verger pour en faire un champ de patates, des bonnes patates BASF©, dans sa terre toute dérangée. Mais il ne pourra pas attendre l'application du Codex, alors il ne demande pas grand chose, le paysan en essuyant ses grosses larmes, juste l'autorisation de rendre une partie de ses terres constructibles...

Il veut vendre des lots, faire du préfabriqué, de la voirie, des réseaux d'assainissement, du béton, de l'enrobé, même radioactif, il prend ! C'est ça qu'il est venu quémander chez les parisiens, à la télé, un samedi : Une extension de la ZAC à ses terres.

Il ne demande pas un répit aux banques le temps de restaurer sa terre et de faire du bio, des variétés locales, des animaux en liberté au pré, de redevenir paysan.

Non, il demande une extension de la ZAC pour faire un lotissement, lui aussi il veut en croquer, il veut faire dans l'immobilier. Nul doute que son passage télévisé, aura été remarqué par M. le maire, au Conseil Général ou à la Préfecture, et tout va être mis en œuvre pour que ce brave cultivateur retrouve sa dignité en bétonnant ses terres, presse départementale et télé régionales à l'appui.

Comme en Vendée, où les terres destinée à l'agriculture avaient été loties à la grande satisfaction de tous, avec les conséquences qu'on connait...

Revoir la séquence sur Canal+, et l'article chez AgoraVox

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