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Le Monde expliqué à Marilyn - ou presque

Publié le 06 mars 2010 par Kranzler
marilyn beach
J’ai fait l’autre nuit un rêve étrange, d’une absurdité plaisante vraisemblablement causée par la pleine lune, et ce songe, je pense, fera quelques envieux ici même. Au début, cela ne ressemblait en rien à un rêve. Je marchais paisiblement, accompagné de ma chienne Fauvette récemment guérie d’un ennui digestif, comme chacun sait. Je pensais être éveillé, en possession de toutes mes facultés ou du moins des plus importantes. Cela ressemblait réellement à la vie quotidienne et ordinaire ; mon compagnon à quatre pattes courait devant moi, refusant d’obéir et fouillant le sol de sa fière truffe bicolore. Telle une folle elle se roulait par moments dans l’herbe, ou encore observait les fourmis, animée comme toujours d’une insatiable curiosité intellectuelle. Tant de détails d’une grande banalité qui, en somme, étaient là pour faire vrai. L’instant suivant, sans transition, je me retrouvais dans la maison de mon enfance et de mon adolescence. Il n’était pas difficile de la reconnaître : même jardin, mêmes rosiers et même véranda. Je m’étonnais de ces retrouvailles, et une autre partie de moi ne s’en effrayait cependant pas. Vraiment ma maison ? Oui. Sans aucun doute. Ma chambre de jeune homme était demeurée intacte. Il s’agissait bien de la mienne et je pouvais reconnaître sans peine le poster de Marilyn sur le mur gauche, et celui de Frankenstein, situé juste en face. Il n’y avait pas que leurs pâles images, plates et sans vie. Ils étaient là devant moi, en chair et os. Immobile, Frankenstein était allongé sur mon lit, faisant assez pitié à voir et émettant de monotonesf1 borborygmes. Marilyn, à son chevet, l’observait avec inquiétude et en même temps une certaine dose de réalisme, l’air de se demander de quelle façon lui venir en aide. Avant d’aborder concrètement le récit de cette rencontre dont le caractère de quasi-réalité me perturbe, je me sens tenu d’apporter quelques précisions. Je ne souffre, pour commencer d’aucune fièvre paludique. Ce que j’ai vu n’est donc pas le fruit d’une hallucination. Je n’ai pas non plus ingurgité de scopolamine, et je vous conjure, vous tous, de ne jamais toucher à cet alcaloïde. J’ai bien rencontré Marilyn, et si un éventuel thérapeute me disait Brian tu dérailles je lui répondrais tranquillement vas chier. Lucidité et acuité visuelle sans failles : ces mots décrivent assez bien l’état perceptif dans lequel je me trouvais. J’étais aware, not insecure at all. Comme dans la plupart de mes rêves, j’étais deux : une partie de moi agissant sans s’étonner de rien tandis que, juché sur un siège d’arbitre de tennis, un autre moi-même observait la scène à distance et recensait les nombreuses aberrations temporelles qu’elle comportait. Celui-là par exemple déplorait de ne pas avoir d’explication relative à la présence de Marilyn. Le premier, lui, bavardait avec elle d’une façon naturelle et très ordinaire, tout comme il l’aurait fait avec n’importe quelle amie, en buvant par exemple une Grenadine bien fraîche ou partageant un plat consistant de délicieuses saucisses de Montbéliard aux choux – plat évidemment préparé la veille et réchauffé, car le lendemain c’est meilleur. A quoi ressemblait cette Marilyn, voudrez-vous sans doute savoir. Quelques mots donc à ce sujet. C’était une Marilyn de trente-six ans, débarrassée du capiteux embonpoint de Certains l’Aiment Chaud et très peu maquillée. Tel Arnold Schwarzenneger dans l’un ou l’outre opus de Terminator elle semblait avoir fait le voyage dans le plus simple appareil, surgissant du néant dans une capsule de lumière précédée de capricieuses interférences électriques. Voyageuse nue, oui, je le pense, car les vêtement qu’elle portait devant moi était les miens : un 501 taille 32 / 34, allègrement transformé en bermuda, ainsi qu’une longue tunique de coton blanc fermée par une rangée de huit fois trois boutons.  La simplicité de cette enveloppe vestimentaire soulignait le caractère vibrant de sa féminité. Elle brillait d’un éclat d’une pure simplicité, reléguant par exemple une Claudia Schiffer au rang d’obscure pétasse accessoirisée. Il s’agissait bien là de la Marilyn chantée par Nougaro, de celle encore décrite par Karen Blixen comme « ressemblant beaucoup à une jeune lionne rencontrée un jour, fragile et très attachante, mais que je n’ai pas voulu garder. » Voici maintenant l’essentiel de notre conversation, qui débute au moment où, entrant dans ma chambre, je la découvre se livrant à un vigoureux massage des pieds de Frankenstein, ce dernier en fort piteux état et souffrant d’un refroidissement compliqué d’un évident problème de confusion. Un long bras tremblant tendu en direction de Marilyn, il ne cesse en effet de répéter Es – Mé – Ral – Dahhhh d’une émouvante voix caverneuse.
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- Vous tombez bien, chéri. Dîtes, vous n’auriez pas un peu de Gin pour retaper ce pauvre chou ? Il est tout glacé. - Je dois avoir ça, Madame. - Pas Madame, petit idiot. Vous savez bien que vous pouvez m’appeler par mon prénom. - D’accord, Marilyn. Mais, du Gin, c’est bien recommandé dans son état ? - Oh, je doute qu’une petite secousse puisse lui faire du mal.  - Je peux vous servir quelque chose tant que j’y suis ?  - En fait je vous ai devancé. J’ai ouvert une bouteille de Pommery qui traînait dans le frigidaire. Par contre, je n’ai pas trouvé de verre. J’ai versé dans ce que j’ai pu. Tenez. Buvez. J’enlève juste une petite trace de rouge à lèvres, là. - Pas là-dedans, quand même ? - Je n’aurais pas dû ? Je suis terriblement ennuyée si j’ai gaffé. C’est mignon comme récipient, non ? - Vous savez ce que c’est, Marilyn ? - Oui, bien sûr. C’est un petit pot de chambre bleu. Mais je l’ai lavé, rincé, et le Champagne est parfait je vous assure. - C’était mon petit pot, à moi. Celui où j’ai appris à devenir grand. - Tant mieux alors. Comme vous êtes un grand garçon il y a donc longtemps que vous n’avez pas dû faire dedans. Enfin je suppose.  - Qu’est ce qu’on faire de lui, là ? - Franck ? On va le remettre sur pieds. Et dès que ce sera fait on file acheter une autre roteuse au village. On vous a déjà dit que vous ressemblez à Miller ? - Je ne trouve pas ça flatteur comme comparaison, ce salopard vous a laissé tomber comme une merde. Si encore vous aviez dit Di Maggio. - C’est vrai, Jo était un type bien. Et au lit un tir au but ça le connaissait. Vous ressemblez quand même à Arthur. J’aime les hommes qui ont des lunettes. C’est amusant de faire de la buée dessus. Erotique, même. Je l’ai fait sur Tony Curtis dans Certains l’aiment chaud. Cette scène où je suis vautrée sur lui à bord du yacht.  - C’était trop chaud ! - Vous auriez bien voulu être à la place de Tony, pas vrai ? - Non. A la vôtre, si vous voulez tout savoir. - Alors comme ça vous êtes une chochotte ? Comme Rock Hudson ? Ca ne se voit pas tant que ça. - Je ne vais pas le hurler dans un mégaphone. Je vous en parle parce que vous êtes une copine.  - Vous êtes chou de dire ça. Les hommes ne me l’ont pas souvent dit. Ils m’ont souvent pris pour la conne dem2 service. - Vous souriez. On dirait que ça ne vous fait plus mal. - C’est votre petit chien qui me chatouille. - Oh, pardon. Fauvette, on ne lèche pas les orteils de Marilyn ! Marilyn, au fait, je vous présente Fauvette.  - Je t’autorise à me faire des lèchouilles, moi. Ca me fait des frissons partout. Tu es drôlement mignonne, je trouve. Tu ressembles un peu à un phacochère, d’une certaine façon, mais avec beaucoup de délicatesse. En tout cas tu te laisses facilement caresser. Dîtes ? Je me trompe où il lui manque des nichons ? - Il a fallu en enlever quelques uns. Elle avait un truc de filles. - Vous vous occupez bien d’elle. Mes nichons à moi aussi c’est un sacré problème. Les hommes ne regardaient que ça. Dire qu’on m’aurait pris pour une grande actrice si j’avais eu moins de seins. Mais, j’y pense, vous avez un amoureux en ce moment ? - Des clous.  - Vraiment que dalle ? C’est regrettable. C’est pourtant bien d’en avoir un. - Que voulez-vous. J’ai à peu près autant de cervelle que vous et je viens de me faire avoir en beauté. Plus ils sont beaux, plus ils sont cons. Des fois c’est plus fort que moi ; dès qu’il y a une connerie à faire je la fais. Le pire, c’est que je m’applique.  - On ne sait pas toujours à l’avance qu’on s’apprête à en faire une. - Moi, si. Je savais. Il y avait des panneaux sur la route. Connerie droit devant vous, c’était marqué. Alors forcément j’y suis allé. Et vous savez quoi ? - Non. - Je serais prêt à recommencer si j’avais ne serait-ce qu’une toute petite raison de la faire. - On a déjà presque fini la roteuse. Si on ne grignote pas un petit quelque chose je vais être à moitié soule. m3Ici, pour une raison que je ne m’explique pas, débute un passage flou. Je commence à trouver à ce rêve de vastes allures de bordel. Un bordel énigmatique et tendre où me tourmentent des questions très matérielles. Ainsi, il m’apparaît que j’ignore en quelle année nous sommes, et ce détail me préoccupe soudain. Puisque nous nous trouvons dans ma chambre d’adolescent, en suis-je moi-même redevenu un ? Et quels sont les risques ? Ma mère va-t-elle surgir d’un moment à l’autre ? Ou bien mon père, qui à n’en pas douter exigerait sur le champ des explications sur mes relations avec une actrice plusieurs fois divorcée et notoirement désaxée ? Je l’entends déjà, de sa belle voix claire et péremptoire : « Je vous demande de sortir, Madame. Usez de vos charmes sur le président des Etats-Unis si bon vous semble, mais laissez mon fils qui passe son baccalauréat dans quelques semaines. « Mais non. Rien de tel ne se produit. Aucune grandiloquente menace. Du balcon, observant le jardin, je constate que les rosiers n’ont pas été taillés depuis fort longtemps. Les taupes prolifèrent. Mon père, qui avait la main verte, n’habite manifestement plus ici. Voilà qui explique ce désordre, et me soulage d’un poids embarrassant. Entre Marilyn et moi, tout semble décidément permis. Il est maintenant vingt heures et nous voilà sur la plage, minuscule petite crique à marée montante, ceinturée d’une dentelle de falaise finement découpée. Personne d’autre que nous. Franck nous accompagne. Il va beaucoup mieux, après s’être régalé d’une soupe chinoise à l’odeur pourtant très prononcée. Nous l’avons achetée spécialement pour lui, à l’épicerie du charmant village de Plouzic’h où son apparition à provoqué une série d’évanouissements. Il semble à présent parfaitement rétabli. Il a pris un des meilleurs cigares de mon père et crache à présent la fumée tel une aimable centrale nucléaire. Il observe l’océan avec une très suave gravité, tout en se réjouissant d’écouter Ertha Kitt sur mon vieux walkman – mais je m’en veux après coup de ne pas l’avoir autorisé à choisir The Very Best of Abba.  - Kranzler, s’il te plaît, raconte-moi le monde. .. - Le monde ? Quel monde, Marilyn ? - Le monde depuis 1962. Depuis que je ne suis plus là. Si des événements importants ont eu lieu j’aimerais les connaître. - Tu sais, Marilyn, c’est pas vraiment mon truc. Je préférerais te montrer les étoiles. Orion. L’amas Stellaire M 51. Là, j’ai des bases assez solides. La Lune aussi je saurais t’en parler. Tiens, regarde. Le cratère Trisnecker. Il ressemble à un nombril. Mais rien n’y fait. Elle insiste. Il y a bien là une soif de connaissances qui ne tarira pas. - Bon, c’est d’accord. Mais, tu sais, il n’est pas joli joli, le monde. Après il ne faudra pas venir pleurer.j4 - Croix de bois, croix de fer. Je suis déjà allée en enfer.  - Attache ta ceinture, Marilyn. C’est parti. (Un silence. Je prends une longue inspiration. Paralysé par la tâche qui m’attend je pense quelques instants renoncer. Quel monde veut-elle ? Le monde tel qu’il est, cynique d’épouvantable vacherie ? ) Marilyn, les Twin Towers se sont effondrées. A 8 h 45 heure locale le onze septembre 2001, le vol N° 11 d’American Airlines s’est encastré dans la tour nord à hauteur du 96ème étage. L’avion, un Boeing 767 chargé de 38 000 litres de kérosène, venait d’être détourné quelques minutes seulement après son de décollage de l’aéroport de Boston et volait à une vitesse supérieure à 700 kmh. Puis, à 9 h 02 minutes et 54 secondes, le vol 175 de la United a percuté le 81ème étage de la tour sud. Il n’y a plus de tours jumelles, Marilyn. C’est fini. Depuis on est dans un merdier sans nom. - Elle est raide, celle-là ! En plein New York, il fallait oser. Evidemment je pleure pour les morts et je pleure avec leurs proches mais, que je sache, on n’a pas versé une seule larme à Hiroshima. C’est peut-être un juste retour des choses d’exploser une fois quand on a lancé tant de bombes sur les autres.  - On continue ? - Bien sûr. Au fait, Cuba, les missiles… est-ce qu’il y a eu la guerre à l’époque ? Quelqu’un a fini par appuyer sur le bouton ? - Même pas. La guerre froide a continué. Les Américains sont allés sur la Lune, en fusée, pour en mettre plein la vue à Krouchtchev.  - La Lune ! Ce queutard de John avait dit qu’il le ferait ! Il n’est plus président, je suppose ? - Non, il s’est fait descendre comme un lapin à Dallas. Son ordure de frère aussi y a eu droit. A propos, il était comment au lit, John ? - Lui ? Un vrai malade ! Moins bien qu’un bon bûcheron du Dakota du Nord. Quand je pense à ces deux salops j’ai la nausée. Dire qu’on a retrouvé dans mon sang assez de Nembutal pour tuer quatorze vaches. Personne ne peut en avaler autant. On peut dire qu’ils ont mis le paquet. Est-ce que Montand est toujours avec Simone ? - Il s’est mis avec une petite jeune quand elle est morte. Il lui a fait un enfant, d’ailleurs. - J’aurais bien aimé qu’il fasse pareil avec moi. Signoret m’aimait bien, je crois qu’elle aurait compris. - Lui, te faire un enfant ? Il ne l’aurait pas reconnu. Ce n’est pas du tout sa spécialité.  - Est-ce que Fauvette a eu des bébés chiens ? Et toi, est-ce que tu aurais aimé être père ?  - Ni elle ni moi n’avons pas de descendance. De ma part, c’est un choix. Des petits Kranzler partout, je ne vois pas ça du tout. Mais alors, pas du tout.  A ce stade, me voilà qui commence à être la proie d’un doute vague et pourtant persistant. Est-ce une fausse impression de ma part, une appréciation erronée des faits ? Au fur et à mesure de l’avancée des flots je devine que Marilyn a une idée en tête, un projet précis qu’elle médite tout en continuant à m’écouter, d’une oreille que je devine toutefois moins attentive : m1- … Jean Paul Gaultier et Jean Paul II, le viagra, Gorbatchev et le tsunami, Madonna, le mur de Berlin, l’explosion de la navette Challenger, la comète Shoemaker – Levy qui a heurté Jupiter, la bombe à neutrons, Le Darfour et le Sida, Zinedine Zidane, Mère Thérèsa, le treizième pilier du tunnel de l’Alma, le réchauffement global, les OGM et M6 (ce qui revient au même), Céline Dion et Charles Manson, l’eau qui commence à manquer, bientôt, en plus, il n’y aura plus une goutte de pétrole et Liz Taylor est en chaise roulante, en plus il convient d’ajouter que… - Brian, tu m’aurais fait un enfant si on s’était rencontrés à temps ? - Oui, pour te faire plaisir. Mais bon, hein, sans garantie de succès. - Alors, s’il te plaît, fais m’en un maintenant. Sans attendre. - C’est pour ça que tu es venue, Marilyn ? - Non, je te regarde et j’en ai envie, c’est tout. - T’en as de bonnes. Transmettre mes tares à un enfant, ça ne me plaît pas tant que ça. Et puis d’abord fumer diminue la qualité des spermatozoïdes. C’est marqué sur les paquets de cigarettes et de tabac à pipe. Si ça trouve, je n’en ai peut-être pas un de bon, et, pour couronner le tout je ne suis pas du tout certain d’arriver à monter ma toile de tente. Et pourtant si, j’y parviens. Dans l’océan bleuté l’impossible se produit. L’étreinte passée, je m’étonne à peine de voir surgir à nos côtés une baleine majestueuse au sommet de laquelle trône ce cher Franck, aussi à l’aise que s’il chevauchait n’importe quel banal destrier. L’heure du départ a sonné. Norma Jean me remercie pour l’enfant que je viens de lui faire. Elle m’assure que tout ira bien, qu’il aura les yeux vert clair, que Florence sera la marraine et la baby-sitter, et, alors que le paisible cétacé commence à conduire vers le large son improbable équipage, elle se retourne une dernière fois vers moi : - Kranzler, je voudrais encore te dire quelque chose. - Oui, je t’écoute Marilyn. Le fruit de nos entrailles est bénit. - Kranzler, que la force soit avec toi…

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