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Oups

Publié le 08 mars 2010 par Elinorbird

- Billie debout!

- Rrrrmmmm....

- Billie. On va être en retard...

- Rrrrmmmm.... T'as vu l'heure à laquelle on s'est couchées...

- Je sais mais justement. T'as besoin de te décrasser. Allez zou! Debout! dis-je en lui arrachant la couette

- ELLLLIIII!! Non. J'ai pas besoin de me décrasser, j'ai besoin de dormir. Laisse moi. Je viendrai avec toi la semaine prochaine... répliqua-t-elle en bougonnant et en récupérant la couette

- Billie... s'il te plait... supplai-je, déconfite

Cela faisait des semaines qu'elle me promettait de m'accompagner à mon cours de danse du samedi matin mais chaque fois, elle se défilait à la dernière minute. Elle trouvait toujours une bonne excuse... "Je passe le weekend chez mes parents à Cold Spring!", "J'ai trop bu hier soir, je suis vannée", "J'ai répèt'...", "T'as vu le temps qu'il fait!!! Je sors pas sous cette pluie battante"... Toujours une bonne excuse...

- Promis Eli. Je viendrai la semaine prochaine, répéta-t-elle, entrouvrant un oeil pour constater que je ne rigolais mais alors pas du tout...

- Hum hum... dis-je en me levant, les épaules rentrées en avant, ne faisant même plus attention à ses promesses.

Je comprenais qu'elle soit fatiguée puisque moi aussi, j'étais claquée... Nous avions tous passés la soirée à Brooklyn, chez Paige et Simon, à faire griller des marshmallows dans la cheminée, à sirotant du vin chaud. Jack fumait des gros cigares avec Charlie. Simon remuait les buches dans la cheminée... George avait dormi contre moi toute la soirée, me chauffant la cuisse gauche, mais lorsque Paige s'était levée pour brancher Michael Jackson, ce brave chien avait bondi pour aller danser avec elle et Billie. Après avoir refait le monde, nous nous étions lancés dans une grande partie de Cluedo qui nous avait menée jusqu'à trois heures du mat', heure à laquelle je m'étais levée pour déclarer qu'il était grand temps de rentrer si l'on voulait se réveiller à temps pour le cours de danse du lendemain. Billie avait acquiéscé et m'avait suivie. Nous avions pris un taxi et je l'avais prévénue qu'il fallait programmer le réveil pour 9AM, 9.30AM maxi. Elle m'avait dit "pas de problème". On s'était fait un bisou sur le pallier et on était allées se coucher. Et ce matin, elle remettait une nouvelle excuse sur le tapis. Merde alors. "Je l'avais pourtant prévenue!!!"

J'étais défaite.

Je regroupai mes affaires dans mon sac de sport, prenant soin de ne pas oublier mon bandeau Véronique et Davina (1) et mon mini short Nike orange, ma bouteille d'eau et mon après-shampoing à la camomille, et je m'apprêtai à partir...

Aussi motivée qu'une moule.

Heureusement, il faisait un temps magnifique. M. Goodwill, notre voisin du dessous, devait être en train de faire cuire des pancakes car la cage d'escalier, habituellement vétuste et plutôt lugubre, embaumait la crèpe au sirop d'érable et avait des airs de pays des merveilles. Mon Schwinn m'attendait bien sagement dans la cour, à côté de celui de Billie...

Je me souvins...

Je l'avais poussée à s'acheter un vélo au moment où nous emménagions dans notre nouvel immeuble. Il était, selon moi, "impensable de vivre à New York sans vélo". J'avais donc trainé ma Billie au Fleamarket de l'avenue A (2), et nous lui avions dégoté un magnifique Schwinn marron et beige. Bien plus beau que le mien. J'avais d'ailleurs tenté de lui échanger contre mon vieux modèle bleu nuit mais elle n'avait jamais voulu. "Tanpis. Ma selle est bien plus confortable que la tienne de toute façon!" avais-je répliqué, vexée comme un poux que mon chantage ne fonctionne pas... Et depuis cette judicieuse acquisition, nous ne nous déplacions qu'à vélo, parcourant tout downtown, les cheveux aux vent en été, le bonnet descendu jusqu'aux sourcils en hiver. Les jours de neige, les vélos restaient au vestiaire mais sinon, c'était vélo à tous les coups.

Nos Schwinn nous conduisaient même aux vernissages et aux soirées branchées. Perchées sur nos talons dix centimètres. Slalomant entre les voitures. Nous avions pris l'habitude de nous garer juste devant, sous les regards curieux des fumeurs de cigarettes qui s'agglutinaient devant l'entrée. Nous rigolions comme des bécasses en voyant que nous nous faisions remarquer grâce à nos vieilles bécanes. Ça nous plaisait bien! Parfois, Jack était de la partie et on formait alors le "Gang des Bikeurs Élégants qui sillionnent les rues du village..."

Aaahhhh...

J'étais en train de décadenasser mon vélo quand j'entendis la porte du building grincée derrière moi... Je me retournai pour constater que Billie, la mine enfarinée, avait apparemment décidé de s'extirper du lit et d'abandonner la couette. Son bonnet jaune poussin enfoncé de travers sur sa tête, ses longs cheveux en bataille, son cuir lui tombant de l'épaule droite, elle trainait au bout de son bras un vieux cabas en toile duquel dépassait des couleurs arc en ciel... Elle avait lacé ses baskets l'une avec l'autre et les portait en écharpe. Une touch d'enfer. Elle me sourit timidement. Je lui rendis son sourire et sans un mot, montai sur ma bécane, me décalant pour qu'elle accède à la sienne. Il faisait si beau et chaud que j'étais en train de mourrir dans ma doudoune. Billie prête, nous partîmes ouest.

Direction la YMCA (3)

***

Mc Burney YMCA. Un endroit où j'aurais pu passer des heures, à observer et à écrire... Nichée dans un immeuble quelconque de la 14e street, ce club de sport familial était mon rendez vous du samedi matin depuis plus de quatre ans.

Pendant que tous les moins de quarante ans allaient suer dans un des nombreux clubs branchés et high tech de la ville, où l'on pouvait croiser les célébrités de Manhattan, faire de la gonflette à côté de mecs super baraques et sexy, courir entre la typique femme d'affaire gluée à son blackberry et la dernière mannequin H&M, moi, je pédalais entre Mamie jogging rose et Papy rameur, je nageais à côté des nouveaux nés et de leur gentil maitre nageur, et je dansais avec la plus sympathique des anciennes cheerleaders (4), reconvertie en prof d'aérobic/step/danse... Pom-Pom-Gie.

J'avais atteri dans ce club improbable peu de temps après mon arrivée à New York. Mon agent m'avait gentillement fait comprendre que si je voulais continuer à faire les couvertures de magazine, il allait falloir réagir... Mais s'adapter à la nourriture américaine avait été pour moi un vrai challenge. Après un mois ici, j'avais déjà pris sept kilos. Alors, aux petits maux les grands remèdes, j'étais parti à la recherche d'une salle de sport. Seulement ici, pour rester beau et svelte, il faut être riche. Pour les autres, c'est footing à Central Park ou profil baleineau. Seulement, avec les moins vingt degrés que nous subissions cet hiver là, je ne pouvais me résoudre à aller courir au parc trois fois par semaine. Et c'est ainsi que j'avais trouvé la YMCA. La gym populaire!

Eh bien pourquoi pas! m'étais-je dis en ressortant de ma première visite. Il y a une piscine, des cours variés, une grande salle équipée de machines dernier cri... Bon, je n'ai pas croisé un seul pelu qui semblait avoir mon âge mais l'idée n'est pas de me faire des copines de toute façon. Et c'était surtout nettement moins cher que toutes les autres gyms que j'avais pu trouver. Alors, j'avais signé! Et là, j'avais bien vite compris le sens du mot folklo! À chaque visite, j'étais servie. À chaque visite, je regrettais de ne pas avoir mon appareil photo...

- Comment dis-tu? me demanda Billie qui, après cette petite balade, avait enfin les idées à peu près claires

- Interval Training, répondis-je

- Interval quoi?

- TRAI-NING

- Hummm

- Tu vas voir c'est génial. C'est un peu dur mais si Mamie peut le faire, j'vois pas pourquoi tu pourrais pas...

- Comment ça "Mamie peut le faire"?

- Bah oui. Mamie Rankin a fêté ses quatre vingt ans l'année dernière, et elle continue de suivre ce cours...

- Tu plaisantes? m'interrogea Billie alors que nous franchissions les portes de la YMCA.

- Non je plaisante pas. Tu vas voir! Elle est sensas'.

- NOOONNNN... Quatre vingt?

- Ouep

Je montrai mon badge et nous descendîmes au vestiaire pour nous changer et laisser nos affaires dans mon casier. Étant grande fan de Véronique et Davina, j'avais absolument tout l'équipement. Débardeur gris, short Nike orange, et bandeau Davina assorti. Mais ce qui me surprit le plus c'est que Billie me batte à plat de couture. Une véritable version kitch de Madame-va-faire-du-sport. Elle portait un large débardeur blanc sur brassière orange et legging arc en ciel, assorti à son fameux foulard arc en ciel qu'elle avait noué sur son front, tel Rambo, (le même foulard qu'elle avait enroulé autour de sa taille, trois ans et demi ans plus tôt, quand je l'avais rencontrée, métro Lorimer...) et comme elle n'avait pas de baskets appropriées pour faire du sport, elle avait ressorti ses vieilles Reebok montante bleu électricien. Elle était au top! Une vraie pub American Apparel (5). Toutes les deux, on faisait la paire.

- T'es prête? me demanda Billie en se tremoussant devant le miroir et en ajustant son foulard

- Allons y Rainbow Billie! m'exclamai-je, fière de lui avoir trouver ce nouveau surnom qui lui allait comme un gant

- Ça commence à quelle heure?

- 10.30AM

- Ah bon! Mais on a le temps alors!!!

- Non. Faut que l'on arrive en avance si l'on ne veut pas se retrouver derrière Maurice qui pète

- QUOI? s'écria Billie

Je pouffai dans ma barbe... Allez viens Rainbow! Billie me suivit avec entrain. Elle regardait partout autour d'elle, comme une enfant qui débarque chez Mickey. Je comprenais. Ça m'avait fait le même effet la première fois... J'étais contente de voir qu'elle semblait enthousiaste à l'idée de découvrir mon activité du samedi matin. J'adorais cette classe car non seulement c'était un très bon entrainement, très complet, mais surtout, c'était un vrai moment de laisser-aller. Car ici, quand on fait du sport, on a aussi le droit d'être wild et sans complexe, de laisser son corps parler. Un truc qui ne serait jamais arrivé en France où si tu te pointes avec un legging arc en ciel, tu te fais recaler, où si tu ne fais pas les mouvements correctement, tout le monde te regarde, où tu es jugé en permanence, montré du doigt. Ici, no complexe! Et moi, j'adorais ça. Tu étais libre d'être toi-même, de venir en jogging rose ou en short à pois, tu étais libre de danser comme tu voulais, tu étais libre de peser quarante ou cent kilos, d'avoir vingt ou quatre-vingt ans... Tout le monde au même niveau. Personne ne te prêtait d'ailleurs attention. Sauf pour t'aider si tu avais besoin...

Notre coach, la quarantaire, était une ancienne cheerleader - je l'avais parié le premier jour où je l'avais vu faire son Oula Oup en se déhanchant exagérément, se reluquant dans le miroir - qui nous concoctait chaque semaine une chorégraphie d'enfer, sur fond de musique de boite de nuit qui pulsait à mort dans les vieilles enceintes.

Nous entrâmes dans le studio. Billie était scotchée. Elle se tourna vers moi, la bouche ouverte et les yeux écarquillés. Au premier rang, une brochette de copines, la cinquantaine, qui échangeaient avec véhémence leurs potins de la semaine. Au fond, collée au ventilateur mural qui tournait à plein régime, Debbie et Mister Biscoto. Debbie, cent cinquante centimètres cent dix kilos et Mister Biscoto, deux cent kilos de muscles. Un peu plus loin, Mamie Binocle, la soixantaine, la peau sur les os, les jambes tordues, collant noir teeshirt promotionnel surdimensionné, large lunette triple foyer sur le bout du nez, les mèches caniche lui tombant sur le visage. Juste devant la doyenne de ce cours, notre Mamie Rankin, haute comme trois pommes, le sourire fendu jusqu'aux deux oreilles, cheveux blanc soyeux et petit ensemble coton marine carreaux blancs. Et là, devant nous, Maurice, frolant les soixante-dix, sec comme un clou, tout de blanc vétu, version tennisman des années cinquante, beau comme un coeur avec sa peau toblerone et ses grands yeux bleus, mais ayant la facheuse habitude de péter pendant tout le cours. Et des pets absolument nauséabonds.

- Billie, Billliiiieeee, chuchautai-je en filant des coups de coude à ma copine. Viens...

- Quoi?

- Par ici, lui dis-je en la prenant par la main pour l'emmener le plus loin possible de Maurice.

- ??

- C'est Maurice qui pète, lui murmurai-je dans l'oreille en pointant mon regard dans la direction de ce dernier qui, penché en avant pour s'étirer, était sûrement déjà en train d'embaumer sa voisine de derrière.

- Ohhhhh.....

- BONJOUR À TOUS! commença Pom-Pom-Gie. Ce cours est un cours qui alterne du cardio et de la musculation. Surtout, allez à votre rythme, n'hésitez pas à ralentir si ça va trop vite. Par contre, ne vous arrêtez pas subitement. Continuez à bouger...

Billie me jetait des regards goguenards et amusés, les deux mains sur la taille, en faisant des oui-non de la tête pour échauffer sa nuque. Et subitement, elle sursauta. Pom-Pom-Gie venait de lancer la bande son à plein volume.

Gym Tonic by Bob Sinclar

Stand with your feet together

Botox tight

Stomach fold in

And arms straight out to the side

Shoulder height

Now flex your hands up ward

Press the heels of your hand

Out to the opposite rolls

And circle forward
2,3,4,5,6,7,8 and back

...

Billie semblait prête à prendre le cours très au sérieux et je la vis se concentrer, évitant mon regard... Pom-Pom-Gie se plaça devant l'assemblée désormais silencieuse et attentive, sur les starting blocks. Hop! C'était parti! Et au moment où elle enchaina son premier talon-fesse-bras-rameur, la porte du fond s'ouvrit sur une Paige timide qui avançait sur la pointe des pieds. Visiblement très confuse d'être en retard... Paige? Mais qu'est ce qu'elle faisait là!!!? Elle repéra tout de suite nos couleurs flachy et dans un petit geste de la main, nous fit signe qu'elle allait rester là, pour ne pas déranger tout le monde. Et cette baluche ne trouva rien de mieux à faire que de se poster juste derrière Maurice qui pète. Billie explosa. Enchainant le deuxième mouvement, et tapant dans mes mains en faisant passer mon poid de la jambe droite à la jambe gauche, je tentais de faire comprendre à Paige qu'il fallait qu'elle change de place mais elle ne comprenait pas... Ohhhh.... PAIGE!!! Pom-Pom-Gie nous fit les yeux noirs. Oups. Paige!!! Mais il n'y avait rien à faire, elle ne comprenait pas. Au fur et à mesure que le cours avançait, le rythme s'accélérait. Paige, en bonne élève studieuse, suivait avec application l'exemple de notre cheerleader mais devenait de plus en plus rouge. J'étais convaincue qu'elle était sur le point de suffoquer mais qu'elle n'osait pas bouger pour autant. Bien trop timide. Bien trop polie. PAIGE! Billie, elle aussi, tournait couleur tomate mais pour une autre raison: elle n'en pouvait plus de se retenir de rire. Ohlala... La fine équipe...

Et Paige, brave et courageuse, tint jusqu'à la fin, au moment où Pom-Pom-Gie, dans son très célèbre Oula Oup, se courba sous les applaudissements de l'assemblée. Tous lessivés. Tous ravis. Billie s'écroula au sol. Je fonçai sur Paige.

- Mais enfin Paige! Qu'est-ce que tu fais là? lui demandai-je

- Je... me... suis... dit que... articulait-elle, reprenant son souffle. Moi aussi... j'avais envie de... découvrir ton cours du samedi...

- C'est génial! Mais tu aurais dû me prévenir! On serait venues ensemble!!!

- Bah... Je voulais te faire... la surprise...

- Trop mignonne...

- ALORS PAIGE! hurla Billie, en ricanant comme une greluche. Tu as apprecié les prouts de Maurice!

- Billlieee, grondai-je

- Rohhh ça va... Personne ne m'a entendu! dit-elle en constatant que Mamie Rankin et Mister Biscoto la dévisageaient l'air réprobateur.

- Allez. Venez, dis-je en les prenant tous les deux par les bras. On va se faire jeter bande de morue. Et moi je serai fichée. Ici, on ne juge pas ses camarades, expliquai-je

- Oups... Pardon Eli...

Nous regagnâmes le vestiaire. Un bon hammam. Une bonne douche. Et tradition oblige. Un bon Mogador pour récompenser nos efforts...

(1) Véronique et Davina, célèbres présentatrices de l'émission TV des années 1980, Gym Tonic www.veronique-et-davina.com

(2) Flea Market Avenue A, n'existe malheureusement plus aujourd'hui...

(3) YMCA McBurney, 125 West 14th Street, New York NY 10011, (212) 741-9210 www.ymcanyc.org

(4) Cheerleader, pom-pom girl agitant de gros pompons aux couleurs d'une équipe sportive dans un spectacle de chant, de danse et de figures acrobatiques donné à l'occasion d'évènements et de championnats sportifs pour encourager les joueurs d'une équipe.

(5) American Apparel www.americanapparel.net


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