Venise que je ne connais que grâce à la nouvelle de Thomas Mann "La mort à Venise" et par le superbe film éponyme de Visconti porté par la sublime partition de Gustav Malher... Rêver Venise au travers de mélodies ou de reportages. La Venise du Carnaval, celle des Palais, des canaux, de la Place Saint-Marc. La Venise des ponts, des gondoles. La Venise inondée. La Venise des petits métiers, la Venise des artisans qui travaillent le verre à Murano ou la dentelle à Burano... Venise et son île-cimetière San Michele. Venise où le temps semble s'être suspendu... Venise pourtant tournée vers l'extérieur. Venise exhibant son passé. Venise ville résolument avant-gardiste avec sa biennale d'architecture ou d'art contemporain, et son Arsenale vieux de plusieurs siècles lieu ouvert aux jeunes créateurs peintres, photographes et sculpteurs se produisant dans le cadre des rencontres ARTE LAGUNA. Venise, cité aux multiples facettes, qui fascine ou rebute, mais ne laisse pas indifférent.
Photo trouvée sur le net.
Mais avant d'aborder la Venise de Thomas Mann, je vais évoquer un autre écrivain, une autre ville, Lisbonne, un autre rêve...
Dernièrement j'échangeais au cours d'un voyage avec une dame me racontant qu'elle avait fait une croisière et que son navire qui vivait son voyage inaugural avait jeté l'ancre face à Venise. Les passagers étaient extasiés devant tant de beauté, ravis d'avoir découvert cette cité du côté mer... Oui, je pensais que cela devait être merveilleux, et je songeais aussi que lorsque mon modeste ferry abordait Bastia, Nice, Marseille ou Toulon, villes qui ne me semblent pas si mystérieuses, et pour lesquelles parfois je ne ressens pas d'attrait j'aimais quand même les découvrir depuis un hublot ou le pont avant d'y être entrainée par ma voiture. C'est la magie même des transports maritimes, cette même magie qui m'a fait dernièrement photographier les Iles Lavezzi et les falaises de Bonifacio...
A chaque fois que je prends contact avec une ville par la mer, je songe au roman d'Olivier Frébourg : "Souviens-toi de Lisbonne". Olivier Frébourg débute un paragraphe de son roman en écrivant ces lignes : " Je regrette le temps où l'on arrivait au Portugal par bateau. J'ai passé des heures devant un cargo grec, au coeur de la ville, à côté de la place du Commerce. Les vieux bateaux accostaient les toits d'Alfama et de Lapa. Tout est maritime à Lisbonne."
Tout n'est-il pas maritime aussi à Venise? Je découvre un sentiment identique à celui d'Olivier Frébourg lorsque je lis ces lignes de Thomas Mann :"(...) Il se prenait à penser qu'arriver à Venise par le chemin de fer, c'était entrer dans un palais par la porte de derrière; il ne fallait pas approcher l'invraisemblable cité autrement que comme lui, en bateau, par le large." (La Mort à Venise). Fascination sans doute exercée par les villes historiques posées au bord de l'eau, mers ou océans...
"Il avait besoin de sortir, de regarder le ciel, de voir s'il n'y aurait pas une éclaircie sur Venise.
Il ne lui semblait pas qu'il pût en être autrement, car la ville l'avait toujours accueilli dans un nimbe de lumière, mais ciel et mer restaient chargés et livides, par instants il bruinait; il se résigna à l'idée d'aborder du côté de la mer une Venise autre que celle qu'il découvrait autrefois en venant par terre. Il s'adossa au mât de misaine, laissant errer au loin son regard qui cherchait la terre. Il songeait à son enthousiaste et mélancolique jeunesse qui avait jadis vu surgir de ces flots les coupoles et les campaniles dont il avait tant rêvé; dans sa mémoire chantaient des vers, de ceux dont vénération, bonheur, mélancolie lui avaient en ce temps-là inspiré l'harmonieuse cadence, et bercé par des sentiments qui avaient une fois déjà trouvé expression, il interrogeait son coeur grave et las, se demandant s'il serait donné au touriste venu pour flâner de retrouver l'enthousiasme ancien, et si ne l'attendait pas peut-être quelque tardive aventure sentimentale.
A sa droite, la côte se dessina toute plate. Des bateaux de pêche donnaient de l'animation à la mer. On vit paraître l'Ile aux Bains, que le vapeur laissa à sa gauche pour traverser au ralenti l'étroite passe du même nom, et finalement s'arrêter sur la lagune, en face de misérables maisons bariolées, en attendant le canot du service de santé.
(...) On allait descendre, les trépidations de la machine recommençaient et le bateau reprenait à travers le canal de San Marco son trajet interrompu au moment d'accoster.
C'était donc elle, il allait une fois encore y atterrir à cette place qui confond l'imagination et dont l'éblouissante, la fantastique architecture emplissait d'émerveillement et de respect les navigateurs abordant autrefois le territoire de la république : l'antique magnificence du Palais et le pont aux Soupirs, sur la rive, les colonnes, le lion, le saint, la fastueuse aile en saillie du temple fabuleux, la vue sur la Porte et la Grande Horloge; et à ce spectacle il se prenait à penser qu'arriver à Venise par le chemin de fer, c'était entrer dans un palais par la porte de derrière; il ne fallait pas approcher l'invraisemblable cité autrement que comme lui, en bateau, par le large."
La Mort à Venise - Thomas Mann - Le Livre de Poche n° 1513 -