plongée en eaux troubles

Publié le 09 mars 2010 par Didier T.

Lui était jeune, musculeux, un corps d’athlète sculpté par une pratique quotidienne de la natation en piscine. Son énorme barda trônait sur le porte bagage de sa bicyclette de location. A sa forme, on devinait la masse oblongue d’un sac de tente d’où dépassait la crosse d’un fusil sous-marin, le tout glissé entre deux murs qui devaient être de grandes palmes.
De Quibron, la navette maritime l’avait déposé au Palais, au pied de la fière citadelle Vauban qui veillait sur le port. Comme d’habitude, il avait loué son vélo chez le garagiste et plein de courage avait harnaché ses affaires avant de commencer sa montée vers les terres hautes qui lui permettraient de rejoindre son site de plongée privilégié plus au sud, vers Bangor.
En cette mi septembre, les touristes parisiens avaient déjà évacué l’ île et ne restaient que les îliens et les propriétaires profitant enfin du calme revenu pour lentement fermer leurs maisons de vacances et les protéger des rigueurs de l’hiver à venir.
La température était douce et le vent qui lui giflait les joues venait encore du sud sud-ouest.
C’était bon signe, il allait se régaler. Surtout si ses copains étaient au rendez-vous comme promis sur la plage de Bornor. Là, à deux pas de la mer, ils allaient planter leur bivouac et construire avec les pierres de granit le même four génial que celui qu’ils avaient érigé l’année dernière à pareille époque.
Perdu dans ses pensées, il traversa Bangor sur les coups de onze heure égrainés du clocher et prit le sentier des douaniers descendant vers la plage.
Les vagues y léchaient doucement le sable et la plage couverte de varech était déserte.
En ce temps là, pas de téléphone portable et il ne se souvenait pas bien d’avoir croisé une quelconque cabine téléphonique publique.
Lors de ses multiples entraînements avec son club de plongée, il avait bien retenu qu’une longue séance dans l’eau fraîche ne pouvait s’envisager seul. De plus, ses copains, qui auraient dû être là depuis deux jours, devaient amener, dans leur fameuse Citroën en plastic, le matériel, bouteilles et compresseurs.
Ils avaient dû être retardés et oublier de le prévenir. Deux heures plus tard, en arrière de la plage, à l’abri d’un rocher le protégeant du vent, sa tente était dressée, des galets polis par la mer donnaient au sable la rigidité d’un sol aménagé et le four était presque utilisable, ne manquait que du bois sec et surtout des allumettes. Décidemment, rien ne fonctionnait comme prévu et en panne de briquet, il ne pouvait même pas allumer une cigarette.
Gitane au bec, il enfourcha son vélo et, se repérant au phare de Goulphar, pédala vers le seul hôtel du coin, le Castel Clara, Relais Château où il était certain de trouver du feu et un téléphone s’il acceptait de consommer un café au bar.
C’est elle qui prit sa commande, le bar était désert et l’hôtel semblait endormi malgré les quelques personnes âgées qui se prélassaient sur leurs chaises longues au bord de la piscine.
Engageant la conversation il lui raconta son désarroi devant l’absence de ses amis et lui conta par le menu l’installation qu’il venait de terminer sur la plage toute proche et dont il était fier.
De bonne compagnie, elle sortit de derrière son bar et vint se placer debout près de sa table installée au droit d’une porte fenêtre donnant sur les bateaux de l’anse de Goulphar qui balançaient doucement leurs mâts.
Elle était belle à couper le souffle, le soleil découpait la silhouette de ses hanches au travers de la jupe à fleurs qu’elle portait. Laissant dépasser un bout de langue de ses lèvres sanguines, elle sut tout de suite que ce nouveau client n’était pas insensible à son charme juvénile.
Comme pour chasser toute idée d’une éventuelle idylle, elle prit soin de lui signaler qu’en cette fin de mois de septembre, elle se préparait à quitter cet emploi saisonnier pour reprendre ses études et rejoindre une petite cité de la banlieue rennaise dont il oublia le nom, suspendu qu’il était aux lèvres magiques qui ne remuaient que pour lui….
Son appel téléphonique acheva de le convaincre que décidemment, il manquait de chance. Ses amis étaient restés à Paris car la fameuse Citroën en plastic, la Méhari, venait de rendre l’âme.
Rester seul n’était pas envisageable, surveiller sa tente, assurer sa propre sécurité en plongée, même en apnée , ce n’était pas sérieux, ces vacances prenaient un goût de sable bitumineux. Il téléphona à sa mère pour la prévenir de son retour le lendemain, ce qu‘il regretta dès le soir même.
Car la soirée et la nuit furent mémorables. Dans la petite tente, d’où l’on pouvait clairement entendre le roulement régulier des vagues, il et elle s’en donnèrent à coeur joie après un bain de minuit pris sur les coups de neuf heures du soir. Seule la fraîcheur naissante les fit rentrer sous la toile.
Le lendemain matin, de bonne heure, avant de le quitter pour regagner son travail, elle inscrivit sur son paquet de Gitane son nom, son adresse et son numéro de téléphone et lui souhaita un bon voyage de retour vers Nantes.
Sur le bateau qui le ramenait vers le continent, Quibron en vue, passant au large de l’Ile de Houat, c’est justement ce paquet de Gitane qui venait d’être vidé que je jetais imprudemment dans les vagues.
Adieu, veaux, vaches, cochons, couvées ! Adieu, son nom, son adresse et son téléphone.
Elle s’était faite appelée Brigitte, mais selon le standard de l’hôtel aucune Brigitte ne figurait parmi le personnel de l’établissement. Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu