Ville étrange, fascinante, qui a été célébrée, de tous temps, dans le monde entier par des musiciens, des poètes, des peintres, des paroliers, des écrivains, des cinéastes, des photographes.
Venise qui a été longtemps la destination privilégiée des jeunes mariés, Venise qui est aussi le mausolée des amours mortes, Venise menacée par les eaux dont la mort est programmée.
"La mort à Venise", roman de Thomas Mann, "Mort à Venise" de Visconti, et puis Aznavour qui chantait : "Que c'est triste Venise, au temps des amours mortes, que c'est triste Venise quand on ne s'aime plus" et plus tard Frida Boccara:
"Venise va mourir un jour
Venise va mourir
Je ne peux pas imaginer
Sans un soupir
Qu'un jour Venise au fond de l'eau
Verra passer tous les bateaux
Comme une épave de lumière
Un roman sous la mer"
Je vous épargne une "scie" voire une ineptie, qui fût dans doute bien placée au hit-parade quelques années plus tard, mais qui ne sera certainement pas, je l'espère un monument de la chanson et de la musique du 20ème siècle... oui, je l'espère, mais sait-on jamais? : "Laisse les gondoles à Venise"
Nous voici dans le vif du sujet : les gondoles, ces embarcations à la couleur funèbre qui embarquent amoureux et touristes pour une visite romantique sur les canaux, ces gondoles ne sont-elles pas à l'origine de la dualité entre amour et mort... Venise ville des délices, du romantisme et de l'amour, Venise ville funèbre, cernée par les eaux et sillonnée de gondoles noires?
Photo trouvée sur le net
"Qui ne serait pris d'un léger frisson et n'aurait à maîtriser une aversion, une appréhension secrète si c'est la première fois, ou au moins la première fois depuis longtemps, qu'il met le pied dans une gondole vénitienne? Etrange embarcation, héritée telle quelle du Moyen Age, et d'un noir tout particulier comme on n'en voit qu'aux cercueils, - cela rappelle les silencieuses et criminelles aventures de nuits où l'on n'entend que le clapotis des eaux, cela suggère l'idée de la mort elle-même, de corps transportés sur des civières, d'évènements funèbres, d'un suprême et muet voyage. Et le siège d'une telle barque, avec sa laque funéraire et le noir mat des coussins de velours, n'est-ce pas le fauteuil le plus voluptueux, le plus moelleux, le plus amollissant du monde? Aschenbach s'en aperçut lorsqu'il se fut installé aux pieds du gondolier en face de ses bagages, soigneusement rassemblés à l'avant relevé de la gondole. Les bateliers continuaient à se quereller avec des gestes menaçants, des mots qui sonnaient dur à son oreille et dont le sens lui échappait. Mais le remarquable silence de la cité des eaux semblait accueillir les voix avec douceur, leur ôter du corps, les égrener à la surface du flot. Dans le port, il faisait chaud. Laissant tomber sur lui le souffle tiède du sirocco, détendu, abandonné dans les coussins au rythme de l'eau qui berce, le voyageur fermait les yeux, goûtait le plaisir doux et rare pour lui de se laisser aller. La traversée ne durera pas longtemps, pensait-il; plût au ciel qu'elle durât toujours! Et bercé par la gondole légère, il eut la sensation de glisser, d'échapper au tumulte et aux voix.
Comme le silence grandissait autour de lui! On ne percevait que le bruit des rames retombant en cadence et le clapotis des vagues fendues par l'avant de la barque qui se dressait bien au-dessus du niveau, noir, raide et taillé en hallebarde à son extrême pointe..."
La mort à Venise - Thomas Mann - Le Livre de Poche n° 1513